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LE FRANÇAIS

des arbres, mais d’un diamètre rétréci, ce qui n’annonçait rien de bon pour la journée. L’on entendit le dernier houhou d’un hibou blanc dans un fourré et le bruit mât, à peine perceptible, d’un gros lièvre gris dans la neige molle, derrière un buisson de cornouillers. Discrètement roses, des arbres montrèrent des parures de diamants sous les rayons de ce soleil boréal. Il se fit sous les arbres une lumière douce et froide qui juxtaposait jusqu’à les marier en blanc le rose tendre des troncs des bouleaux et le vert délicat des épinettes et des sapins.

Les deux jeunes gens avançaient rapidement chantant pour se donner du cœur et stimuler la marche ; l’écho de leurs voix claires faisait taire tous les autres bruits de la forêt. En moins d’une heure, ils avaient traversé, avec la rapidité d’une flèche, un coin du lac Kipawa et s’étaient de nouveau enfoncés dans la forêt ténébreuse, dévalant vers le lac Témiscamingue. Vers midi, ils aperçurent à la lisière d’une petite clairière que longeait le sentier des portageurs, un gros orignal brun qui frottait son large panache contre le tronc rugueux d’une épinette ; le fauve était solidement planté sur ses longues jambes et tournait contre le vent son énorme tête exsangue. Jacques Duval et Charles Castonguay s’arrêtèrent subitement. Quel beau coup de fusil ! Là, il n’y aurait qu’à viser, une minute, dans un œil que l’on voit planté d’un côté de cette lourde tête de chameau, ou, tout simplement, à la place du cœur. Mais à quoi bon ? L’on perdra du temps et qu’est-ce que l’on ferait de la dépouille de ce « chameau