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LE FRANÇAIS

Peu après cinq heures, toutefois, l’aspect désolant de ce coin des forêts outaouaises s’était quelque peu modifié. Un chemin battu à la raquette partait du campement et s’en allait vers un pan de la forêt dans laquelle il disparaissait. Les hommes étaient partis, dès cinq heures, pour leur « journée », rude journée passée à abattre des pins et des épinettes, à les ébrancher, à couper les troncs en billots de douze pieds, à charroyer ces billes aux « roules » monstrueuses qui à tout instant menaçaient de débouler dans la rivière malgré leurs solides étais…

Mais tout à coup, dans le morne paysage de la clairière, de l’intérieur du grand campe, des cris joyeux fusèrent en même temps que la colonne de fumée jaunâtre, pressée, jaillissait, droite, de la gueule du tuyau de tôle dressant d’un coin du toit plat du campe, sa courte ligne sombre sur le fond blanc de la neige. L’on riait en-dessous de ce linceul.

L’extrême nord du continent américain, le pays de la gélinotte, du Déné, de l’Esquimau et de l’Oblat, est aussi la patrie chérie du caribou des bois. Dans cette abomination de neige et de glace, les indiens font de notre « tarrandus hastilis » des massacres effroyables ; ils les chassent de toutes les façons, au moyen de fosses creusées dans la neige durcie, de lacets de babiche tendus, de flèches imbibées du suc de plantes vénéneuses ; et tout cela, souvent, pour en déguster seulement la langue dont ils sont friands. Des fois, l’indien rusé couvert d’une peau d’un caribou tué la veille, se traîne sous bois, imitant le beuglement de l’animal ; indiscret,