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LE FRANÇAIS

vieux souvenirs. Aussi bien, la mémoire semblait faire un effort pour ressaisir les lambeaux du récit. Enfin, il continua :

« L’Bob avait pour lors vingt-cinq ans et y avait juste c’t’année-là, vingt-cinq ans qu’j’avais acheté mon lot d’icitte qu’était, vous pensez, tout en bois debout et su lequel j’voulais établir mes garçons. C’est pour ça qu’j’avais vendu mon bien de Beauport, à Québec, pour venir au Témiscamingue ous’qu’on disait qu’la terre était pleine d’avenir pour les colons. J’avais tout vendu là-bas, et j’avais gardé Bob seulement qu’était, dans c’temps-là, un beau poulain.

« C’est avec lui qu’j’ai don ouvert c’te terre. J’étais déjà pas une jeunesse et j’vous assure, mes enfants, qu’on en a arraché. C’était une terre dure à faire sans bon sens ; du bois partout, des souches, des crans, des ferdoches, des savanes, des taies d’aulnes d’un bout à l’autre. Il a fallu tout arracher ça, égoutter ça, labourer ça, harser ça, semer ça. Quand j’ai donné ma terre à Camille, vous savez, tout était fait à partir du trécarré jusqu’au chemin. C’qu’il y a du travail, là-d’dans ! Et c’est avec Bob qu’j’ai quasiment tout fait ça. L’été, on faisait d’là terre, on labourait, on harsait, on faisait les foins et la récolte. Ensuite v’naient les labours d’automne et on faisait d’là terre encore jusqu’aux neiges. L’hiver, on charriait du bois, ou ben, on mettait Bob su le « haspor » du moulin à battre, et marche, marche, marche, toute la sainte journée, pour battre l’grain d’là récolte. Pendant c’temps-là, les jeunesses avaient grandi ; les garçons s’étaient mis à aller voir