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LE FRANÇAIS

et bonne foi, peut-elle se comparer à celle que l’on souffre en ces trous de campagne où l’ennui étreint l’être d’un bout de l’année à l’autre, où rien, jamais, ne vient briser la pesante mélancolie, où un étranger qui vient frapper à une porte, une voiture qui passe sur la route, un animal qui court en liberté dans un champ voisin, sont des événements qui font courir les gens aux fenêtres des maisons…

Jacques Duval parla longtemps ainsi, amplifia la beauté de la vie des villes, exagéra les misères de l’existence dans les villages. Pour lui que la réalité meurtrissait, il comptait avec la réalité ; il ne pouvait prévoir quel obstacle empêcherait Marguerite d’associer sa vie à la sienne. La raison, cette âpre gardienne de nos jugements, avait beau lui insinuer qu’il est au monde d’autres questions que des questions d’amusements, son imagination exaltée bondissait par-dessus tout. Il fut d’une éloquence sincère. Dans le silence de la route, tantôt son verbe résonnait haut, sonore, comme l’appel d’un jeune orignal à la lisière d’un bois, tantôt se faisait bas et tendre, murmurant, ainsi qu’un sizerin à tête rouge à l’heure de la couvée, dans les frondaisons d’un saule. Il s’indignait et s’attendrissait tour à tour ; il avait des mots doucereux et câlins et des paroles de colère selon qu’il parlait de la ville ou de la campagne. Il déchargea son cœur de tout ce qu’il y avait enfermé de rancœur et chercha à remplir son âme et celle de sa compagne de toutes les joies rêvées pour meubler la vie qu’il avait imaginée.