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LE FRANÇAIS

monté, les gages ! On paie un bon bucheux jusqu’à cent piastres par mois avec la nourriture.

— Eh, bateau ! s’exclama un vieux, dire que dans mon temps les maîtres-bucheux gagnaient vingt-cinq piastres par mois seulement ; j’ai été claireur, moi, pour quinze piastres, croyez-moi ou croyez-moi pas.

— Oui, c’est vrai, fit Jean-Baptiste Morel, quand j’allais aux chantiers, du temps de mon défunt père, j’ai clairé, moi, pour dix piastres, pas plus, avec la nourriture.

— Oui, c’est ça aussi qu’a changé, la nourriture, dit Pierre Morin, un riche cultivateur du village. De mon temps, c’était toujours pareil, pendant tout l’hiver : le matin, on avait des « beans » au lard ; au dîner, du lard salé avec des patates bouillies, des fois un morceau de bœuf, et de la mêlasse pour le dessert ; le dimanche, on avait une assiettée de soupe aux pois de plus ; pour le souper, des patates avec des grillades de lard. Ça changeait jamais, jamais. Tandis qu’aujourd’hui, ah ! bateau d’un nom ! on a du bacon, le matin, et souvent des œufs, comme dans les grands hôtels, mes enfants ; le midi, du « rosbif » et de la bonne soupe toujours, et des confitures avec des pains de Savoie pour le dessert… Oui, ça aussi, ça a changé, la mangeaille !…

Un vieux qui portait une belle barbe blanche en collier et que l’on appelait le père Jos. dit, branlant la tête, pendant que sa pipe de plâtre clignotait entre ses dents jaunes et longues mais en nombre suffisant pour tenir solidement le brûle-gueule :