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LE FRANÇAIS

pendent, dégoulinant de bave, les aigrettes de poils soyeux brun doré qui se balançaient, tantôt, au sommet de la tige brutalement arrachée d’un coup de dent. Puis, quand ces bêtes effrontées ont été chassées dans leur pacage, il a fallu réparer les pagées de clôture abattues par les sauteuses, replanter des piquets et aligner des pieux. La brunante a eu le temps de venir et il fait noire nuit quand Jacques, le front en sueurs, les pieds lourds de glaise séchée, grimpe de nouveau sur son tombereau pour descendre à la maison.

Ah ! c’est cela, c’est bien cela, la vie, la douce vie des champs ! Un tourment continuel où les bêtes même deviennent des tyrans ; des soucis constants, un labeur sans trêve. Et Jacques Duval, assis sur le devant de son tombereau, les pieds ballant dans le vide, pense, en souriant, qu’il a eu, tantôt, la naïveté de s’attendrir devant la beauté automnale, si trompeuse, de la terre paternelle…


Maintenant, la pluie tombe, glacée, sur les campagnes ruisselantes devenues tristes à mourir. La neige ne tardera pas à venir et, en effet, l’on attend, d’un jour à l’autre, la « bordée de la Toussaint ». L’horizon ne cesse plus de s’embrumer et sur le lac, du matin au soir, les brouillards traînent en nappes épaisses et blanches. Dans les maisons, les vieux se sont mis à bourrer de bûches les gros poêles de fonte, et les cheminées de briques rouges, au sommet des toits pointus, crachent, jour et nuit, la fumée aussi dense que la brume du lac. L’on a rentré les animaux dans