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LE FRANÇAIS

enlèvent à l’enchantement de ce qu’il vient d’éprouver. Il se réveille tout de bon, pousse une exclamation de rage.

Le troupeau des vaches et des génisses du père qui paissait, depuis le matin, dans un chaume, à mi-chemin de la terre, vient de sauter dans un champ de blé-d’inde à cheval qu’on laisse encore mûrir sur champ à cause du beau temps. Les bêtes à cornes paissent goulûment les feuilles vertes et larges du légume qui sera leur nourriture, l’hiver, quand elles seront dans les étables. Vaches et génisses croquent à pleines dents les gros épis aux grains dorés et recouverts de leurs enveloppes vertes.

C’est la réalité, ironique et moqueuse, qui se dresse sur les débris du beau rêve anéanti de Jacques Duval. Le père et les frères sont à la maison et n’ont pas eu connaissance de l’invasion du troupeau dans le blé-d’inde. Aussi, c’est à Jacques qu’incombe, en toute conscience, la tâche harassante d’empêcher le sac du champ d’épis. En hâte, maugréant, il grimpe sur son tombereau, rassemble ses cordeaux, cingle le calme Blond d’un coup de hart rouge qu’il a cassée au bord du fossé et, le tombereau, cahotant, avec un bruit de cataracte, sur les cailloux ronds et les ornières du chemin aux charrettes, arrive au champ où font bombance les bêtes. La tâche est rude ; courir longtemps, ici et là, se morfondre à poursuivre ces bêtes, une à une, hors du clos. Sous les cris et les coups, les vaches s’ensauvent lourdement, gauchement, la gueule encore pleine de feuilles vertes et de fragments d’épis d’où