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LE FRANÇAIS

aux tonalités grisâtres, aux bouquets de jeunes bouleaux jetant des notes blanches très douces, mais aux perspectives éternellement pareilles ; ces forêts moutonnantes, hautes, épaisses, splendides, aux peuplades serrées de troncs velus, riches de sève et de la vie profonde de leurs entrailles, d’un vert cru, brutal ; ces champs piqués de souches et de rochers grisâtres, tout cela finit par incliner au rêve, porter à la retombée sur soi-même et développer comme l’essor en dedans de l’imagination. À Jacques Duval, comme à la plupart des jeunes gens des campagnes bas-canadiennes, cette nature triste à force d’être sans cesse si belle, donnait une trop grande part de rêve ; elle avait déterminé chez Jacques en particulier une libre crue d’imagination que son naturel entraînement vers les puérilités des amusements campagnards avait activé davantage. Aussi, loin de l’attirer, de l’attacher au sol, loin de l’astreindre par la rudesse même de ses attraits au dur noviciat de la réalité, le spectacle quotidien de la nature outaouaise avait comme affermi ses ailes qui sans cesse tendaient à le porter vers des villes de rêve où il n’avait qu’à tendre la main pour saisir toutes les réalités du bonheur, ainsi que l’on cueille à pleine poignée, sans efforts, les bleuets juteux et marbrés qui tombent presque d’eux-mêmes de leurs graciles branchettes.

Ah ! le triste spectacle que celui d’une nature de paysan par atavisme qui ne cherche, par la force d’une imagination mal dirigée, qu’à l’entraîner vers une vie à laquelle elle n’est pas prédestinée ! Comme elle agit tout de même avec adresse dans le sens du rêve, cette