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LE FRANÇAIS

Ce fut avec toute la conviction que lui donnaient les souffrances qu’il avait endurées lui-même dans les fournaises entrevues, un soir, du haut d’un plateau de son Espinouze, que l’émigré discourut.

L’on ne grignotait plus de friandises, l’on ne buvait plus de la délicieuse bière au gingembre qui avait perdu son effervescence dans les verres où elle stagnait, flasque ; l’on écoutait, encore même qu’elle se fut éteinte, la voix de l’engagé de Jean-Baptiste Morel. Puis, ce fut autour des tables, un murmure de voix congratulantes, un volubile échange d’incidences oiseuses,

Marguerite Morel rayonnait, faisant des efforts toutefois pour ne pas laisser voir sa joie encore qu’elle eut préféré en ce moment sauter au cou du Français et l’embrasser à pleine bouche. Mais l’amour, chez elle comme du côté de Léon Lambert, ne s’était montré, pour ainsi dire, que dans sa floraison élémentaire, dans son jaillissement aussi naturel, pourrait-on dire, que celui du blé au fond des sillons où il a sourdement germé ; mais il n’en était pas moins émouvant, pas moins attrayant que l’amour pleinement développé et plus sûr de lui-même. Pour le moment toutefois, Marguerite voulait se défendre de toute manifestation trop visible de ses timides sentiments. Elle se contenta de poser pendant une minute sur l’émigré le regard clair de ses beaux yeux qui semblaient plus que jamais élargis sous les efforts d’une vie remplie par l’habitude d’embrasser des horizons sans fin. Loin de rougir de l’inexpérience de l’engagé de son père, de sa timidité