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LE FRANÇAIS

une partie de la soirée, sans même penser au souper, l’on s’amusa, par groupes joyeux et bruyants à suivre les derniers spasmes de l’incendie. Une grande lueur fauve s’étendait sur toute la forêt en ruines. À travers cet immense abatis, cette étendue humiliée d’arbres dénudés, de troncs à demi calcinés, de monceaux de charbon et de cendres ardentes qui étaient, le matin encore, une mer verdoyante de feuillage frais, l’on voyait, ici et là, de grandes majestés sylvestres demeurées solitaires dans ce champ de désolation, achever de se consumer doucement sous des traînées de flammes fatiguées qui les lèchent, puis s’éteindre dans le crépuscule de grandes ombres rayant le ciel un peu blanchi par la fumée qui s’étend en nappes démesurées dans les hautes couches atmosphériques.

Ce morceau de la forêt outaouaise, sans doute, tôt ou tard, devait finir par s’abattre sous la hache du colon ; ce n’était pas une de ces forêts dont l’industrie forestière et la prospérité du pays veulent la survivance. Aussi, c’est presque avec joie qu’on la regarda mourir laissant à sa place un désert noir et crépitant de charbons qui mordent encore le sol ; ce dernier, l’année prochaine, portera peut-être de riches moissons. L’humus rougeoyant encore fulgure au ras de terre dans l’obscurité grandissante.

Mais, vers huit heures, au moment où chacun songeait à gagner la maison pour le souper, et ensuite, le repos bien mérité de la nuit, l’on sentit l’air s’alourdir subitement. Le fond de l’horizon devint noir d’encre sur le noir de fer de la nuit tombante… Le feu a