Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
LE FRANÇAIS

rythme qu’il garde pendant plusieurs minutes, montant et baissant alternativement, avec un bruit continu et monotone, consumant, pouce par pouce, toute la lisière. Quand il parvint aux arbustes et aux plantes de la bordure, ceux-ci, sentant l’attouchement calcinant, tressaillirent de toutes leurs feuilles déjà blessées à mort par la chaleur de l’incendie d’en haut. C’était des framboisiers aux épines menues, des épilobes aux petites fleurs violacées, des fougères finement dentelées, des touffes d’herbes Saint-Jean, des grappes de marguerites blanches et des gerbes de trilles élancées. La fraîche ramure de vie se crispa tout à coup d’un unanime mouvement rétractile. L’on devina les fibres, vibrantes, comme des nerfs au moment du danger. Ce ne fut pas long. Le monstre avait résolu de fondre sur tout ce qui se présentait sur sa route. Une gerbe de flammes fusa d’une touffe de harts rouges, tournoya, pendant quelques secondes, comme hésitante, puis, elle prit son essor et se mit à courir dans les fougères, dans les framboisiers, tout le long de la bordure, s’élargissant en éventail, afin de mieux pouvoir atteindre le champ d’avoine et les clôtures d’abatis qui l’encadraient.

Le tocsin ne s’était pas fait entendre en vain. Toute la population était sur pied : des vieux, ne pouvant plus travailler aux champs et qui passaient leur journée à fumer sur les galeries des maisons, se présentèrent prêts à défendre les foyers menacés ; des enfants qui jouaient sur les grèves du lac depuis le matin, accoururent ; des femmes, abandonnant les bé-