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LE FRANÇAIS

cuivre, brillant, usé par les frottements aux mailles rudes du tissu de la ceinture.

Le Frère Moffet était vénéré de toute la population du Témiscamingue qui le regardait comme le fondateur du pays. Il l’était en réalité. C’est lui qui avait réussi, voilà un demi siècle, à semer la première poignée de blé au creux des sillons tracés par lui-même dans cette sauvage et lointaine glèbe. Le Frère Moffet avait fondé un vaste et riche pays et il n’avait reçu, pour cela, ni commission des gouvernements, ni argent des traiteurs ; on ne lui avait pas frété de navires avec équipages compliqués, ni confié de missions à titres grandiloquents. C’était un humble, un petit. Il avait accompli une grande œuvre qui lui avait coûté des sacrifices qui pourraient difficilement remplir la vie humaine la plus éprouvée, et dont il ignore encore la vertu…

La nature canadienne est variée ; il y a la terre rude, plate, nue ; ailleurs, un peu plus loin, l’on aperçoit le sol riche, frissonnant, feuillu et délicat. La race est, dirait-on, formée à l’image du sol. Elle est forte, ergoteuse, d’opinions profondes et parfois passionnées. Le paysan, calme et d’allure quelque peu sauvage, est lent à se mouvoir, mais lorsque sous une impulsion il s’est mis en marche, rien ne l’arrête. Il est tenace comme la racine des merisiers et rude pour lui-même comme la terre glaise. Ces qualités du terroir, le Frère Moffet les possédait. Il y joignait l’activité et une confiance en Dieu qui excluait la prévoyance, une foi qui transporte les montagnes… Il est le con-