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LE FRANÇAIS

dessinait à travers les frondaisons. On avait bu du vin blanc et mangé jusqu’au soir des quartiers d’agneau, du caillé et une énorme croustade bien dorée ; puis, le soir, une pluie d’orage était venue, subite et lourde, et tous les convives s’étaient sauvés, ici et là, s’entassant surtout dans la maison qui était petite ; les femmes riaient et criaient.

Mais Léon ne disait pas tout ; il ne rappela pas que, dans la salle basse, il s’était trouvé près de Louise Sorbier, cette payse qui lui faisait des façons depuis la guerre et qui était serrée tout contre lui ; que longtemps par la porte ils avaient regardé, sans rien dire, tomber les gouttes larges, et que tout à coup, sans savoir comment, il avait pris une main de la jeune fille et l’avait serrée très fort dans les siennes. À la veillée, Louise avait dansé avec lui…

Enfin, d’une voix émue par ces épanchements intimes où l’on s’abandonne, où l’on s’ouvre, il rappela qu’un jour d’août, alors qu’il s’apprêtait à couper les blés, le tambour de la commune, à grands coups, avait annoncé l’affreuse nouvelle de la guerre et, tout de suite après, l’appel de sa classe sous les armes. Le canon tonnait déjà fort du côté de la Belgique, et il ne fallait pas une minute retarder.

Marguerite prenait un plaisir visible aux récits du jeune Français. C’était la première fois qu’elle le voyait si loquace, si confiant, si heureux. Elle lui fit raconter la guerre ou, du moins, ce qu’il en savait ; ces années de souffrances et de privations dans les tranchées et, à l’arrière, dans les villages où l’on s’arrêtait,