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le sang à la figure, se parlaient à eux-mêmes et gesticulaient, comme s’ils se sentaient seuls par le fait même de la multitude innombrable qui les entourait. Quand ils étaient arrêtés dans leur marche, ces gens-là cessaient tout à coup de marmotter, mais redoublaient leurs gesticulations, et attendaient, avec un sourire distrait et exagéré, le passage des personnes qui leur faisaient obstacle. S’ils étaient poussés, ils saluaient abondamment les pousseurs, et paraissaient accablés de confusion. — Dans ces deux vastes classes d’hommes, au delà de ce que je viens de noter, il n’y avait rien de bien caractéristique. Leurs vêtements appartenaient à cet ordre qui est exactement défini par le terme : décent. C’étaient indubitablement des gentilshommes, des marchands, des attorneys, des fournisseurs, des agioteurs, — les eupatrides et l’ordinaire banal de la société, — hommes de loisir et hommes activement engagés dans des affaires personnelles, et les conduisant sous leur propre responsabilité. Ils n’excitèrent pas chez moi une très grande attention.

La race des commis sautait aux yeux, et, là, je distinguai deux divisions remarquables. Il y avait les petits commis des maisons à esbrouffe, — jeunes messieurs serrés dans leurs habits, les bottes brillantes, les cheveux pommadés et la lèvre insolente. En mettant de côté un certain je ne sais quoi de fringant dans les manières qu’on pourrait définir genre calicot, faute d’un meilleur mot, le genre de ces individus me parut un exact fac-similé de ce qui avait été la perfection du bon ton douze ou dix-huit mois auparavant. Ils portaient les grâces de rebut de la gentry ; — et cela, je crois, implique la meilleure définition de cette classe.

Quant à la classe des premiers commis de maisons solides, ou des steady old fellows, il était impossible de s’y méprendre. On les reconnaissait à leurs habits et pantalons noirs ou bruns, d’une tournure confortable, à leurs cravates et à leurs gilets