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quantité possible de matière ; — et les surfaces elles-mêmes sont disposées de façon à recevoir une population plus nombreuse que ne l’auraient pu les mêmes surfaces disposées autrement. Et, de ce que l’espace est infini, on ne peut tirer aucun argument contre cette idée : que le volume a une valeur aux yeux de Dieu ; car, pour remplir cet espace, il peut y avoir un infini de matière. Et, puisque nous voyons clairement que douer la matière de vitalité est un principe, — et même, autant que nous pouvons en juger, le principe capital dans les opérations de la Divinité, — est-il logique de le supposer confiné dans l’ordre de la petitesse, où il se révèle journellement à nous, et de l’exclure des régions du grandiose ? Comme nous découvrons des cercles dans des cercles et toujours sans fin, — évoluant tous cependant autour d’un centre unique infiniment distant, qui est la Divinité, — ne pouvons-nous pas supposer, analogiquement et de la même manière, la vie dans la vie, la moindre dans la plus grande, et toutes dans l’Esprit divin ? Bref, nous errons follement par fatuité, en nous figurant que l’homme, dans ses destinées temporelles ou futures, est d’une plus grande importance dans l’univers que ce vaste limon de la vallée qu’il cultive et qu’il méprise, et à laquelle il refuse une âme par la raison peu profonde qu’il ne la voit pas fonctionner[1].

Ces idées, et d’autres analogues, ont toujours donné à mes méditations parmi les montagnes et les forêts, près des rivières et de l’Océan, une teinte de ce que les gens vulgaires ne manqueront pas d’appeler fantastique. Mes promenades vagabondes au milieu de tableaux de ce genre ont été nombreuses, singulièrement curieuses, souvent solitaires ; et l’intérêt avec lequel j’ai erré à travers plus d’une vallée profonde et sombre, ou contemplé le ciel de maint lac limpide, a été un intérêt grandement

  1. En parlant des marées, Pomponius Mela dit, dans son traité De situ orbis : « Ou le monde est un vaste animal, ou, » etc. — E. A. P.