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— Tu tâches ! — cria le tyran, férocement. — Qu’entends-tu par ce mot ? Ah ! je comprends. Vous boudez, et il vous faut encore du vin. Tiens ! avale ça ! »

Et il remplit une nouvelle coupe et la tendit toute pleine au boiteux, qui la regarda et respira comme essoufflé.

« Bois, te dis-je ! — cria le monstre, — ou par les démons !… »

Le nain hésitait. Le roi devint pourpre de rage. Les courtisans souriaient cruellement. Tripetta, pâle comme un cadavre, s’avança jusqu’au siège du monarque, et, s’agenouillant devant lui, elle le supplia d’épargner son ami.

Le tyran la regarda pendant quelques instants, évidemment stupéfait d’une pareille audace. Il semblait ne savoir que dire ni que faire, — ni comment exprimer son indignation d’une manière suffisante. À la fin, sans prononcer une syllabe, il la repoussa violemment loin de lui, et lui jeta à la face le contenu de la coupe pleine jusqu’aux bords.

La pauvre petite se releva du mieux qu’elle put, et, n’osant pas même soupirer, elle reprit sa place au pied de la table.

Il y eut pendant une demi-minute un silence de mort, pendant lequel on aurait entendu tomber une feuille, une plume. Ce silence fut interrompu par une espèce de grincement sourd, mais rauque et prolongé, qui sembla jaillir tout d’un coup de tous les coins de la chambre.

« Pourquoi, — pourquoi, — pourquoi faites-vous ce bruit ? » — demanda le roi, se retournant avec fureur vers le nain.

Ce dernier semblait être revenu à peu près de son ivresse, et, regardant fixement, mais avec tranquillité, le tyran en face, il s’écria simplement :

« Moi, — moi ? Comment pourrait-ce être moi ?

— Le son m’a semblé venir du dehors, — observa l’un des