Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La maladie de lady Madeline avait longtemps bafoué la science de ses médecins. Une apathie fixe, un épuisement graduel de sa personne, et des crises fréquentes, quoique passagères, d’un caractère presque cataleptique, en étaient les diagnostics très singuliers. Jusque-là, elle avait bravement porté le poids de la maladie et ne s’était pas encore résignée à se mettre au lit ; mais, sur la fin du soir de mon arrivée au château, elle cédait — comme son frère me le dit dans la nuit avec une inexprimable agitation — à la puissance écrasante du fléau, et j’appris que le coup d’œil que j’avais jeté sur elle serait probablement le dernier, — que je ne verrais plus la dame, vivante du moins.

Pendant les quelques jours qui suivirent, son nom ne fut prononcé ni par Usher ni par moi ; et durant cette période je m’épuisai en efforts pour alléger la mélancolie de mon ami. Nous peignîmes et nous lûmes ensemble ; ou bien j’écoutais, comme dans un rêve, ses étranges improvisations sur son éloquente guitare. Et ainsi, à mesure qu’une intimité de plus en plus étroite m’ouvrait plus familièrement les profondeurs de son âme, je reconnaissais plus amèrement la vanité de tous mes efforts pour ranimer un esprit, d’où la nuit, comme une propriété qui lui aurait été inhérente, déversait sur tous les objets de l’univers physique et moral une irradiation incessante de ténèbres.

Je garderai toujours le souvenir de maintes heures solennelles que j’ai passées seul avec le maître de la Maison Usher. Mais j’essayerais vainement de définir le caractère exact des études ou des occupations dans lesquelles il m’entraînait ou me montrait le chemin. Une idéalité ardente, excessive, morbide, projetait sur toutes choses sa lumière sulfureuse. Ses longues et funèbres improvisations résonneront éternellement dans mes oreilles. Entre autres choses, je me rappelle douloureusement une certaine paraphrase singulière, — une perversion de l’air,