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grave soleil, dont ces lampes et ces encensoirs sont si désireux d’adoucir l’éclat ! »

Après m’avoir invité à lui faire honneur, il remplit et vida sa coupe à plusieurs reprises.

« Rêver ! continua-t-il en s’approchant d’une lumière avec un des beaux vases étrusques dont j’ai parlé. Les rêves ont été l’occupation de ma vie. Je me suis donc — comme vous voyez — arrangé un nid propice à la rêverie. Au cœur de Venise, pouvais-je en construire un plus favorable ? Il est vrai que je me suis entouré d’un chaos d’ornements architecturaux. La chasteté de l’art ionien est blessée par ces embellissements antédiluviens, et les sphinx de l’Égypte semblent déplacés sur un tapis d’or. Cependant, il n’y a que les esprits timides qui puissent voir des disparates dans de pareils rapprochements. La convenance locale et surtout l’unité sont des croquemitaines qui effrayent l’homme et l’éloignent de la contemplation du magnifique. Il fut un temps où moi-même je subissais l’influence du convenu ; mais cette folie des folies est bien loin de moi aujourd’hui. Tant mieux ! Semblable à ces encensoirs arabesques, mon esprit se tord dans les flammes ; et la splendeur du tableau que j’ai devant les yeux me prépare aux visions plus merveilleuses de ce pays des vrais rêves que je ne tarderai pas à connaître. »