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LIVRE XXXVII.


I. Pour qu’il ne manque rien à l’ouvrage que nous avons entrepris, il nous reste à parler des pierreries. La majesté de la nature s’y présente pour ainsi dire en abrégé, et, dans l’opinion de bien des gens, elle n’est nulle part plus admirable, et on attache de prix à la variété, aux nuances, à la matière, à la beauté ; et, pour certaines pierres (1), on va jusqu’à regarder comme un sacrilège d’y porter le burin. Il y a tel de ses joyaux qui passe pour inestimable et sans tarif dans les richesses humaines ; de sorte qu’aux yeux du grand nombre il suffit de je ne sais quelle pierre pour avoir la contemplation suprême et absolue de la nature. Nous avons dit jusqu’à un certain point, en parlant de l’or et des anneaux (xxxiii, 4), quelle a été l’origine des pierreries, et comment a commencé cette fièvre excessive d’admiration. Les fables en font dériver le premier usage de la roche du Caucase, d’après l’interprétation que les destins donnèrent aux liens de Prométhée ; et elles rapportent qu’un fragment de cette roche ayant été renfermé dans du fer et porté au doigt, ce fut le premier anneau et le premier joyau.

II. (i.) Ainsi commença la vogue des pierres précieuses ; et cette passion alla si loin, que Polycrate de Samos (xxxiii, 6, 10), tyran respecté, qui commandait aux îles et aux côtes voisines, reconnaissant lui-même que son bonheur était excessif, crut l’expier assez en sacrifiant volontairement une seule pierre. Il voulait par là balancer ses comptes (2) avec l’inconstance de la fortune, et par cet unique chagrin croyait se racheter suffisamment de l’envie de la déesse. Las d’un bonheur continu, il s’embarque, et, en haute mer (3), jette son anneau dans les flots. Mais un poisson d’une grosseur merveilleuse, et pour cela dévolu au roi, avala cette bague comme si c’était un aliment, et, présage sinistre, la rendit dans la cuisine du prince par la main de la Fortune traîtresse. Il paraît que cette pierre était une sardoine (xxxvii, 23) ; du moins, si l’on en croit les dires, c’est elle qu’on montre à Rome dans le temple de la Concorde (4). Elle a été donnée par [Livie] Augusta ; elle est enfermée dans une corne d’or, et c’est presque la moindre à côté d’une foule d’autres qu’on préféra.

III. Après cette bague, la renommée parle de celle d’un autre roi (5), de ce Pyrrhus qui fit la guerre aux Romains. C’était, dit-on, une agathe sur laquelle on voyait les neuf Muses et Apollon tenant la lyre, non par un travail de l’art, mais par un produit spontané de la nature ; et les veines étaient disposées de telle façon que chaque Muse avait même ses attributs particuliers. Passé ces deux pièces, les auteurs ne font guère mention d’aucun joyau célèbre. On trouve seulement que le joueur de flûte Isménias avait coutume de porter plusieurs belles pierres, et sa vanité est le sujet d’une anecdote : une émeraude sur laquelle était gravée [la Danaïde] Amymone fut mise en vente dans l’île de Chypre au prix de six deniers d’or ; il ordonna qu’on la lui achetât. Mais le marchand