Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
THÉAGÈS

Le témoignage de Xénophon devait confirmer encore celle persuasion. Les Mémorables ajoutent aux renseignements de Platon, et leurs affirmations générales pourraient être l’origine des faits extraordinaires colportés dans la suite par des disciples, amis du merveilleux. Deux traits sont à noter : 1o  la « voix » n’est pas seulement un frein qui retient Socrate, mais, dans certains cas, elle l’engage aussi, semble-t-il, à intervenir ; 2o  ce n’est plus seulement Socrate qui est le bénéficiaire de ses conseils, mais, par lui, elle dirige encore tous ceux qui consentent à lui obéir : « On racontait couramment, rapporte l’historien au 1er livre des Mémorables (2-6), que Socrate prétendait recevoir un signe divin (τὸ δαιμόνιον ἑαυτῷ σημαίνειν). Ce fut, à mon avis, la cause principale de l’accusation portée contre lui d’introduire de nouvelles divinités. Or, il n’introduisait rien de plus nouveau que tous ceux qui, croyant à la mantique, se servent d’augures, d’oracles, de présages, de sacrifices. Eux ne s’imaginent pas que ces oiseaux ou les êtres qu’ils rencontrent, connaissent ce qui est utile aux devins, mais les dieux signifient par eux leurs pensées. C’est là aussi ce que croyait Socrate. Le vulgaire affirme que les oiseaux ou les êtres que l’on rencontre détournent d’agir ou poussent à l’action. Socrate disait aussi ce qu’il éprouvait : d’après lui, la manifestation divine se traduisait par un signe. Il avertissait un grand nombre de ses familiers de faire telle chose, de s’abstenir de telle autre, sur l’indication qu’il recevait de l’oracle divin. Ceux qui l’écoutaient s’en trouvaient bien ; ceux qui lui désobéissaient s’en repentaient. Or, tout le monde conviendra qu’il ne voulait paraître ni sot, ni charlatan aux yeux de ceux qui le fréquentaient. Et il n’eût certes pas manqué de paraître l’un et l’autre, si on avait découvert que ses avertissements, donnés comme venant du dieu, n’étaient que des impostures. Il est donc clair qu’il n’aurait pas fait de prédiction, s’il n’avait cru dire la vérité ». Ce texte suppose visiblement la nature prophétique de Socrate : la « voix démonique » n’inspire pas seulement celui qui a le don de l’entendre, mais, par son interprète, elle exprime aux autres hommes sa volonté[1]. L’Apologie nous montre encore Socrate affirmant

  1. D’autres textes se rapprochent des témoignages platoniciens.