Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
NOTICE

j’allais faire, sans jamais me pousser à agir[1] ». Tel est bien le caractère de la « voix démonique » d’après les textes platoniciens. Elle retient Socrate quand il est sur le point d’accomplir une action qui ne convient pas. Ainsi lui a-t-elle interdit de se livrer à la politique[2] ; elle l’empêche de se lier à certains jeunes gens, tandis que, pour d’autres, elle lui laisse toute liberté[3]. Un jour, Socrate se dispose à quitter un gymnase, « le signe démonique habituel » l’arrête, et bientôt après, Euthydème et Dionysodore entrent pour engager une discussion[4]. Une autre fois, le même avertissement inspire au philosophe de ne pas repasser l’Ilissos avant d’avoir expié par une palinodie ses paroles blasphématoires contre l’amour[5]. Dans tous les cas mentionnés par Platon, remarquons-le, cette voix dirige Socrate seul ; elle ne paraît nullement destinée à guider les autres ; encore moins se manifeste-t-elle comme un oracle dont le rôle est de révéler l’avenir. La fable du Socrate prophète, que plus tard la légende se complaira à développer, pourrait cependant trouver son point d’attache dans ce passage de Phèdre dont on reconnaîtra facilement le ton ironique et plaisant : « Comme je me disposais à passer le fleuve, mon signal divin, celui qui m’est familier, s’est fait sentir (c’est toujours lui qui m’arrête quand je suis sur le point d’agir) : j’ai cru entendre ici une voix qui ne me laisse pas partir avant d’avoir expié, comme si j’avais péché contre la divinité. C’est que je suis devin, non un devin très sérieux, mais comme ceux qui savent mal leurs lettres ; j’en sais pourtant assez pour moi-même. Aussi je vois clairement ma faute, tant il est vrai, ami, qu’il y a dans l’âme une puissance divinatoire : tout à l’heure, en effet, quelque chose me troublait, tandis que je parlais… » (242 b-c). Cette faculté de divination dont parle ici Socrate, en songeant peut-être à des intuitions soudaines de l’esprit, favorisait évidemment la croyance à la réalité d’un génie, d’un véritable dieu qui faisait entendre à l’âme de son privilégié des communications oraculaires.

  1. Apologie, 31 d (Traduction M. Croiset).
  2. Apol. l. c., République VI, 496 c, d.
  3. Théétète, 151 a ; Alcibiade I, 103 a.
  4. Euthydème, 272 e.
  5. Phèdre, 242 b c.