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NOTICES

la pensée (discours, livres, etc.) a un double inconvénient : celui de n’être qu’une traduction approximative de son objet et celui de ne pouvoir fournir, à cause de sa fixité, les perpétuelles explications qu’il faudrait ajouter. « Quiconque possède la science du juste, du beau et du bon… n’ira donc pas sérieusement, après avoir déposé dans une eau noire ses pensées, les semer à l’aide d’une plume, avec des mots incapables de se défendre eux-mêmes, incapables d’enseigner suffisamment la vérité » (276 c). Du reste le seul but des livres, c’est d’exciter l’esprit, de réveiller les souvenirs, et non de procurer une science toute faite : le véritable livre, c’est l’âme. « Si par conséquent Lysias ou quelque autre a composé ou vient jamais à composer un ouvrage sur un sujet d’intérêt privé ou public, s’il a rédigé un traité politique et le juge très sérieux et parfaitement clair, il en sera quitte pour sa courte honte, qu’il en convienne ou non… Si, au contraire, on regarde comme nécessaire qu’il y ait beaucoup de badinage dans un écrit quel qu’il soit, si on comprend qu’il ne faut pas faire grand cas des ouvrages en prose ou en vers… et qu’en réalité les meilleurs ne servent qu’à réveiller les souvenirs de ceux qui savent déjà…, on pourrait bien être l’homme auquel Phèdre et moi nous voudrions ressembler » (277 d-278 b).

N’est-ce pas exactement ce que répète la lettre, en des termes que l’on retrouve aux deux endroits, mais avec des différences qui écartent le soupçon d’une imitation servile et maladroite ? Ce qu’il y a de particulier dans la lettre, c’est un exposé plus technique des motifs empêchant de reconnaître une valeur vraiment scientifique à n’importe quel écrit, car mots, définitions, schèmes sont inadéquats à reproduire la simplicité, la clarté, l’unité de l’essence. Mais ces développements n’ont pas de quoi nous surprendre et ils n’ont rien que nous ne retrouvions dans les Dialogues. Un lecteur du Cratyle reconnaîtra facilement tout un courant de pensées spécialement chères à Platon. Il notera avec quelle insistance le philosophe rappelle que, dans toute imitation, toute image (et le nom n’est que cela), il y a une déficience par rapport à la réalité (432 b, c, d, e). Ne croyons pas nous assimiler la science au moyen du langage : il entre d’abord dans les mots une large part de convention (435), mais, de plus, ce qu’ils contiennent de similitude naturelle avec les objets a été établi