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LETTRE VII

de l’âme vis-à-vis de la connaissance ou de ce qu’on appelle mœurs —, si tout cela a été gâté, 344 à de telles gens Lyncée[1] lui-même ne donnerait pas la vue. En un mot, qui n’a aucune affinité avec l’objet n’obtiendra la vision ni grâce à sa facilité d’esprit, ni grâce à sa mémoire, — car d’abord dans une nature étrangère elles ne trouveront point racine. — Aussi, qu’il s’agisse de ceux qui n’ont pas de penchant pour le juste et le beau et ne s’harmonisent pas avec ces vertus, — si bien doués qu’ils puissent être par ailleurs pour apprendre et retenir, — ou de ceux qui, possédant la parenté d’âme, sont rétifs à la science et dépourvus de mémoire, — pas un d’entre eux n’apprendra jamais sur la vertu et le vice toute la vérité qu’il est possible de connaître. b Il est nécessaire, en effet, d’apprendre les deux à la fois, le faux ainsi que le vrai de l’essence toute entière, au prix de beaucoup de travail et de temps, comme je le disais au début. Ce n’est que lorsqu’on a péniblement frotté les uns contre les autres, noms, définitions, perceptions de la vue et impressions des sens, quand on a discuté dans des discussions bienveillantes où l’envie ne dicte ni les questions ni les réponses, que, sur l’objet étudié, vient luire la lumière de la sagesse et de l’intelligence avec toute l’intensité que peuvent supporter les forces humaines. C’est pourquoi tout homme c sérieux se gardera bien de traiter par écrit des questions sérieuses et de livrer ainsi ses pensées à l’envie et à l’inintelligence de la foule. Il faut tirer de là cette simple conclusion : quand nous voyons une composition écrite soit par un législateur sur les lois, soit par tout autre sur n’importe quel sujet, disons-nous que l’auteur n’a point pris cela bien au sérieux s’il est sérieux lui-même, et que sa pensée reste enfermée dans la partie la plus précieuse de l’écrivain. Que si réellement il avait confié à des caractères ses réflexions, comme des choses d’une grande importance, « ce serait donc assurément que » d non pas les dieux, mais les mortels « lui ont fait perdre l’esprit »[2].

Qui a suivi cet exposé et cette digression, comprendra ce qui

    tions superficielles » (Bergson, Introduction à la Métaphysique, Revue de Métaphysique et de Morale, 1903, p. 36).

  1. Un des Argonautes dont la vue perçante était légendaire. Par hyperbole, Platon en fait ici un dispensateur de la vision.
  2. Iliade VII, 360 ; XII, 234.