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LETTRE VII

suivre le genre d’existence des meurtriers de Dion et les mœurs siciliennes, c ne l’appelez pas à votre aide, ne croyez pas qu’on puisse compter sur lui et qu’il agisse jamais sainement. Les autres, convoquez-les à coloniser la Sicile et à y vivre sous des lois communes égales ; qu’ils viennent soit précisément de la Sicile, soit de quelque partie du Péloponèse. Et ne redoutez même pas Athènes[1], car là aussi se trouvent des hommes qui surpassent tous les autres en vertu et haïssent les audacieux assassins de leurs hôtes. Mais si tout cela tardait et que vous fussiez aux prises avec de continuelles séditions et e toutes sortes de troubles chaque jour renaissant, quiconque a reçu de Dieu la moindre lueur de bon sens, comprendra que les maux des révolutions ne cesseront jamais avant que les vainqueurs renoncent à rendre mal pour mal par des batailles, des bannissements et des meurtres et à tirer vengeance de leurs ennemis. Qu’ils se maîtrisent 337 assez, au contraire, pour établir des lois communes aussi favorables aux vaincus qu’à eux et en exiger l’observation par deux moyens de contrainte : le respect et la crainte. La crainte, ils l’obtiendront en manifestant la supériorité de leur force matérielle ; le respect, en se montrant des hommes qui, sachant dominer leurs désirs, préfèrent servir les lois et le peuvent. Il n’est pas possible qu’une ville où sévit la révolution voie autrement la fin de ses misères, mais troubles, b inimitiés, haines, trahisons, règnent habituellement à l’intérieur de telles cités[2]. Quant aux vainqueurs, quels qu’ils soient, s’ils veulent vraiment la conservation de l’État, ils choisiront parmi eux des

  1. Platon, peut-être moins particulariste que les Siciliens, rêverait d’une hellénisation plus large de la Sicile. — « Ne redoutez même pas Athènes », ajoute-t-il, malgré le crime de l’athénien Callippe. Il fallait rassurer les Siciliens qui craignaient toujours de voir Athènes s’immiscer dans leurs affaires intérieures et voulaient rester maîtres chez eux.
  2. Platon reprend ici une idée qui lui est familière et qu’il développe tout particulièrement au livre IV des Lois, 715. Ne songeait-il pas aux malheurs de Syracuse quand il décrivait dans le dialogue la situation troublée des États livrés aux luttes de partis ? Les vainqueurs arrivés au pouvoir s’efforcent d’écraser les vaincus pour éviter un retour de ces derniers et un régime de représailles. « Or, nous affirmons, ajoute Platon, que ce ne sont pas là des gouvernements et qu’elles ne sont pas de vraies lois celles qui ne sont pas établies pour le bien commun de toute la cité » (715 b).