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LETTRE VII

quel état s’offraient alors à moi les affaires du pays : la forme existante du gouvernement battue en brèche de divers côtés, une révolution se produisit. À la tête de l’ordre nouveau cinquante et un citoyens furent établis comme chefs, onze dans la ville, dix au Pirée (ces deux groupes furent préposés à l’agora et à tout ce qui concerne l’administration des villes), — mais trente constituaient l’autorité supérieure avec pouvoir absolu. Plusieurs d’entre eux étaient soit mes parents, soit des connaissances qui d m’invitèrent aussitôt comme à des travaux qui me convenaient[1]. Je me fis des illusions qui n’avaient rien d’étonnant à cause de ma jeunesse. Je m’imaginais, en effet, qu’ils gouverneraient la ville en la ramenant des voies de l’injustice dans celles de la justice. Aussi observai-je anxieusement ce qu’ils allaient faire. Or, je vis ces hommes faire regretter en peu de temps l’ancien ordre de choses comme un âge d’or. Entre autres, mon cher vieil ami Socrate, que je ne e crains pas de proclamer l’homme le plus juste de son temps, ils voulurent l’adjoindre à quelques autres chargés d’amener de force un citoyen pour le mettre à mort, 325 et cela dans le but de le mêler à leur politique bon gré mal gré. Socrate n’obéit pas et préféra s’exposer aux pires dangers plutôt que de devenir complice d’actions criminelles[2]. À la vue de toutes ces choses et d’autres encore du même genre et de non moindre importance, je fus indigné et me détournai des misères de cette époque. Bientôt les Trente tombèrent et, avec eux, tout leur régime. De nouveau, bien que plus mollement, j’étais pressé du désir de me mêler des affaires b de l’État. Il se passa alors, car c’était une période de troubles, bien des faits révoltants, et il n’est pas extraordinaire que les révolutions aient servi à multiplier les actes de vengeance

  1. Critias, un des oligarques les plus détestés, se trouvait parmi les trente tyrans et en était même un des principaux. Il était le cousin de la mère de Platon. Charmide, oncle maternel du philosophe, avait été préposé à cette époque à la préfecture du Pirée. On sait le régime de terreur que les Trente firent subir à Athènes, régime qui amena la réaction démocratique. — Sur l’exactitude des renseignements donnés ici par Platon, cf. la notice particulière.
  2. Délégué avec quatre autres citoyens pour arrêter Léon de Salamine, adversaire du régime oligarchique, Socrate refusa cette mission qu’il considérait comme illégale. Le récit de cet événement se trouve dans l’Apologie, 32 c.