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LETTRE VI

cette assertion avec celle de l’auteur de la lettre, qui prétend ne pas connaître le chef d’État (322 e) ? Brinkmann refuse d’accorder crédit au renseignement de Strabon, sous prétexte que la relation du géographe est superficielle et contient des inexactitudes, surtout en ce qui concerne le sort des écrits aristotéliciens[1]. Cependant, un séjour d’Hermias à Athènes ne reste-t-il pas très vraisemblable si l’on veut expliquer la liaison du tyran avec Aristote et Xénocrate, liaison qui eut pour conséquence le voyage des deux philosophes et leur séjour à la cour d’Atarnée, après la mort de Platon ? Ce point d’histoire ne paraît pas soulever de doute sérieux, même si d’autres détails sont suspects pour manquer de précision.

De plus, une formule comme « la science des Idées » (πρὸς τῇ τῶν εἰδῶν σοφίᾳ… 322 d) pour caractériser la compétence d’Érastos et de Coriscos semble bien étrange sous la plume de Platon. Elle serait un ἅπαξ εἰρημένον et on ne saurait la comparer, comme veut Howald, à l’expression εἰδῶν φίλοι du Sophiste pour désigner une école, ou la justifier par le fait qu’Aristote attribue à son maître l’enseignement des Idées : λέγει τὰ εἴδη. Enfin, la conclusion de la Lettre s’accorde peu avec la manière platonicienne et rappelle surtout les doctrines secrètes du pythagorisme dont nous trouvions des échos dans la 2e lettre. Que faut-il entendre par cette double divinité au nom de laquelle les trois amis prêteront serment ? Les interprétations les plus diverses ont été données tout comme pour le fameux passage de la 2e lettre : interpolation d’un chrétien platonicien qui a introduit la doctrine du Père et du Verbe (Tiedemann) ; réminiscences de la République, du Philèbe ou du Timée. Wilamowitz et Apelt soutiennent qu’il s’agit du Bien et du Soleil, fils du Bien ; Raeder et Howald, après Karsten, cherchent la solution dans le Timée et identifient les deux divinités au démiurge et à l’âme du monde. Mais la formule est-elle susceptible d’une précision rigoureuse ? Comme nous l’avons noté à propos de la 2e lettre, ne reflète-t-elle pas plutôt les tendances d’une époque où l’on commençait à systématiser la doctrine religieuse de Platon et à unifier des réalités qui très probablement restaient distinctes dans l’esprit de leur auteur ?

  1. Rhein. Museum, N. F. 66 (1911), p. 226 et suiv.