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LA RÉPUBLIQUE IV

Je veux bien.

Tu sais, dis-je, que les teinturiers, quand ils veulent teindre la laine en pourpre, choisissent d’abord dans le grand nombre des couleurs une couleur unique, la blanche ; ils préparent ensuite leur laine blanche avec un soin minutieux, afin qu’elle prenne tout l’éclat possible de la pourpre. C’est seulement alors qu’ils la teignent, eet la teinture ainsi donnée devient indélébile ; aucun lavage, soit à l’eau simple, soit au savon, ne peut en enlever le brillant ; autrement, tu sais ce qui arrive, soit avec des laines d’autre couleur, soit même avec des laines blanches, mais qui n’ont pas au préalable subi cet apprêt[1].

Je sais, dit-il, qu’elles déteignent et font un effet ridicule.

Eh bien, dis-je, imagine-toi que nous faisions de notre mieux un travail analogue, en choisissant les soldats et en les élevant 430dans la musique et la gymnastique. Persuade-toi que la seule fin que nous poursuivions, c’est qu’ils consentissent à prendre la meilleure teinture des lois, afin que, grâce à la bonté de leur naturel et de l’éducation reçue, ils eussent une opinion indélébile et sur les choses à craindre et sur les autres, et que la teinture résistât à ces savons si actifs à emporter les couleurs, je veux dire le plaisir, plus efficace à cet effet que n’importe quel natron ou lessive, et la douleur, et la crainte, et la passion, bdétergents supérieurs à tous les lavages. C’est cette force qui maintient en tout temps l’opinion juste et légitime sur ce qu’il faut craindre et ne pas craindre, que j’appelle et définis courage, à moins que tu n’aies quelque objection à faire.

  1. On sait combien Socrate aimait les comparaisons familières. Sa conversation, dit Alclbiade (Banquet 221 E) semble grotesque au premier abord. « Il parle d’ânes bâtés, de forgerons, de cordonniers, de tanneurs. » Platon aussi illustre souvent sa pensée par des comparaisons prises dans la vie familière, mais rehaussées par l’élégance de l’expression. Celle-ci a fait fortune. Aristote use d’une métaphore empruntée de même à la teinture Éth. à Nicomaque II, 2, 1105a 3. Cf. aussi Cicéron, Hortensius Fr. 62 éd. Nobbe. Sur le procédé des teinturiers, voyez H. Blümmer, Technologie und Terminologie der Gewerbe und Künste bel Griechen und Römern, I, 2e édit., 1912, p. 225-248 et Dictionnaire de Daremberg et Saglio, IV, p. 769 sq.