Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
414 c
136
LA RÉPUBLIQUE

Quel mensonge ? demanda-t-il.

Ne t’attends pas à quelque chose de nouveau, répondis-je ; c’est une histoire phénicienne[1], qui s’est passée déjà en beaucoup d’endroits, comme l’ont dit et l’ont fait croire les poètes, mais qui n’est pas arrivée de nos jours, qui peut-être n’arrivera jamais, et qui est bien difficile à persuader.


Les trois classes
d’hommes.

Il me semble, dit-il, que tu fais bien des façons pour t’expliquer.

Tu verras, dis-je, quand j’aurai parlé, que j’ai bien raison d’hésiter.

Parle sans crainte, dit-il.

dJe vais le faire, bien que je ne sache où prendre la hardiesse et les expressions convenables ; et je vais essayer de persuader d’abord les magistrats eux-mêmes et les soldats, ensuite les autres citoyens que toute l’éducation et l’instruction qu’ils ont reçues de nous et dont ils croyaient éprouver et sentir les effets ne sont autre chose qu’un songe, qu’en réalité ils étaient alors formés et élevés dans le sein de la terre, eux, eleurs armes et tout leur équipement, qu’après les avoir entièrement formés, la terre, leur mère, les a mis au jour, qu’à présent ils doivent regarder la terre qu’ils habitent comme leur mère et leur nourrice, la défendre si on l’attaque, et considérer les autres citoyens comme des frères, sortis comme eux du sein de la terre.

Ce n’est pas sans sujet, dit-il, que tu as balancé si longtemps à faire ce mensonge.

415J’avais en effet de bonnes raisons, répondis-je ; mais écoute néanmoins la fin du conte. Vous qui faites partie de la cité, vous êtes tous frères, leur dirai-je, continuant cette fiction ; mais le dieu qui vous a formés a mêlé de l’or dans la compo-

    les Lois : telle était l’épreuve du vin ἡ ἐν οἴνῳ βάσανος, qui consistait à donner du vin aux hommes, pour voir s’ils perdraient ou garderaient la maîtrise d’eux-mêmes.

  1. Phénicienne, comme l’histoire du phénicien Cadmos qui, ayant semé les dents du dragon, en vit naître des hommes, Σπαρτοί. Après avoir discrédité la mythologie courante, Platon essaye de la remplacer par une autre, en harmonie avec ses propres principes. Il veut donner une sanction religieuse au sentiment patriotique et à l’institution de ses trois castes. C’est dans cette vue qu’il imagine un