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LA RÉPUBLIQUE

pas à imiter sérieusement quelqu’un qui ne le vaut pas, sinon en passant, lorsque cet homme aura fait quelque chose de bien, et encore il en rougira, parce qu’il n’est pas exercé à imiter ces sortes de gens, et parce qu’il souffre de se modeler et de se former sur le type d’hommes inférieurs à lui. Il dédaigne au fond l’imitation eet n’y voit qu’un passe-temps.

Il est naturel qu’il en use ainsi, dit-il.


IX  Il fera donc usage d’un récit pareil à celui dont nous parlions tout à l’heure à propos des vers d’Homère, et son exposition participera à la fois de l’imitation et du simple récit, mais il y aura peu d’imitation pour beaucoup de récit. Ce que j’avance est-il sensé ?

Oui, dit-il ; tel doit être le type de l’orateur comme nous le voulons.

397En conséquence, repris-je, plus l’orateur différent du nôtre sera mauvais, plus il sera porté à tout imiter : il ne croira rien au-dessous de lui, si bien qu’il ne craindra pas de tout imiter sérieusement et devant de nombreuses assemblées ; il imitera même ce dont nous parlions tout à l’heure, le bruit du tonnerre[1], des vents, de la grêle, des essieux, des poulies, des trompettes, des flûtes, des chalumeaux et le son de tous les instruments, et en outre la voix des chiens, des moutons, des oiseaux. Tout son discours ne sera qu’imitation de voix et de gestes ; bà peine y entrera-t-il quelque portion de récit.

C’est forcé aussi, dit-il.

Telles sont donc, repris-je, les deux espèces de récit dont je voulais parler.

Telles elles sont en effet, dit-il.

Or la première ne comporte que de légères variations, et

    critique, et en particulier les hardiesses d’Euripide, qui a peint les égarements de la passion chez la femme, et mis à la scène une femme qui accouche. V. Schol. d’Arist., Grenouilles 1080 ἔγραψε τὴν Αὔγην ὠδίσουσαν ἐν ἱερῷ.

  1. C’est à la machinerie du théâtre et aux effets musicaux que recherchaient l’art dramatique ou le dithyrambe dégénéré que se réfère encore ici Platon. Ses lecteurs sont familiers avec tous les artifices alors employés, en particulier avec le βροντεῖον et le κεραυνοσκοπεῖον, machines à imiter le tonnerre et les éclairs.