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LA RÉPUBLIQUE

396des propos obscènes soit dans l’ivresse soit de sang-froid, ni toutes les paroles ou actions par lesquelles ces sortes de gens se dégradent eux-mêmes et dégradent les autres. Je pense qu’il ne faut pas non plus les habituer à contrefaire le langage ni la conduite des fous[1] ; car il faut connaître les fous et les méchants, hommes ou femmes ; mais il ne faut rien faire ni rien imiter de ce qu’ils font.

C’est très exact, dit-il.

Et les forgerons, repris-je, et tous les autres artisans, et les rameurs qui font avancer les vaisseaux et ceux qui leur marquent la mesure, et tous les mouvements qui se rapportent à ces métiers, bles imiteront-ils ?

Et comment, répliqua-t-il, le leur permettrait-on, puisqu’on leur ôtera jusqu’au droit de s’occuper d’aucun de ces métiers ?

Et les hennissements des chevaux, les mugissements des taureaux, le murmure des rivières, le fracas de la mer, le tonnerre et tous les bruits du même genre, imiteront-ils tout cela ?

Non, dit-il, car il leur est interdit d’être fous et d’imiter les fous.

Si donc, repris-je, je comprends bien ta pensée, il y a une manière de s’exprimer et de raconter que suit toujours le véritable honnête homme, cquand il a quelque chose à dire ; et il en est une autre toute différente qui s’impose infailliblement aux récits de celui qui par la naissance et l’éducation est l’opposé de l’homme de bien.

Quelles sont ces manières ? demanda-t-il.

Je crois, répondis-je, qu’un honnête homme, lorsqu’il est amené dans un récit à rapporter quelque mot ou action d’un homme vertueux, consentira à jouer lui-même le personnage d’homme vertueux et ne rougira pas de cette imitation, surtout si elle a pour objet quelque trait de fermeté et de sagesse attribué à cet homme. dIl l’imitera moins et moins souvent, s’il le voit chanceler sous la maladie, l’amour, l’ivresse ou quelque autre disgrâce. A-t-il au contraire à représenter un homme au-dessous de lui, il ne consentira

  1. Comme dans les Euménides, Ajax, Hercule furieux. Dans toutes ces imitations, ce sont les usages du théâtre contemporain que Platon