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LA. RÉPUBLIQUE

C’est vrai, dit-il.

Moins que tout autre il se révoltera de perdre un fils, un frère, des richesses ou quelque autre bien du même genre.

Moins que tout autre assurément.

Moins que tout autre il se lamentera, si un pareil accident lui arrive, et il le supportera aussi doucement qu’il est possible.

Il se lamentera beaucoup moins en effet.

Ainsi nous aurons raison d’ôter aux hommes illustres les lamentations, et de les laisser aux femmes, et encore aux femmes ordinaires 388et aux hommes lâches, afin d’inspirer le mépris de ces faiblesses à ceux que nous prétendons élever pour la garde du pays.

Nous aurons raison, dit-il.

Nous prierons donc encore une fois Homère et les autres poètes de ne pas représenter Achille, le fils d’une déesse,

« couché tantôt sur le flanc, tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre, puis se levant et errant, l’âme agitée, sur le rivage de la mer infatigable[1], »

b

ni

« prenant à deux mains la poussière noire et se la répandant sur la tête[2], »

ni pleurant et gémissant diversement selon les mille circonstances où Homère l’a représenté, ni Priam, que sa naissance approchait des dieux[3],

« suppliant et se roulant dans la boue et appelant chacun de ses guerriers par son nom[4]. »

Et nous les prierons plus instamment encore de ne pas nous montrer les dieux en pleurs et disant :

  1. Cette peinture de la douleur d’Achille, à la mort de Patrocle, se trouve Iliade XXIV, 10-12. Platon accommode la construction d’Homère au verbe ποιεῖν (représenter) et lit πλωΐζοντ’ — ἀτρυγέτοιο au lieu de δινεύεσκ’ ἀλύων παρὰ θῖν’ ἁλός.
  2. Iliade, XVIII, 23-24.
  3. Zeus était le septième ancêtre de Priam. Cf. Philèbe 16 C οἱ μὲν παλαιοί, κρείττονες ἡμῶν καὶ ἐγγυτέρω θεῶν οἰκοῦντες : les anciens, qui étaient meilleurs que nous et qui habitaient plus près des dieux.
  4. Iliade, XXII, 414-415.