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LA RÉPUBLIQUE

laisserons pas dire au poète. Si au contraire les poètes disent que les méchants, étant malheureux, avaient besoin d’être punis et que leur punition fut un bienfait des dieux[1], il faut leur en laisser la liberté. Mais si l’on dit que Dieu, qui est bon, est la cause du malheur de quelqu’un, nous nous opposerons de toutes nos forces à ce qu’un citoyen tienne ou écoute de tels propos dans un État cqui doit avoir de bonnes lois ; ni vieux, ni jeunes ne doivent se prêter à de tels récits, ni en vers, ni en prose, parce qu’il serait impie de les faire, parce qu’ils sont inutiles pour nous et contradictoires entre eux.

Je voterai cette loi avec toi, dit-il ; elle m’agrée.

Ce sera donc, repris-je, la première des lois relatives aux dieux et le premier des principes auxquels on devra conformer ses discours, si l’on parle, et ses fictions, si l’on est poète : que Dieu n’est pas la cause de tout, mais seulement du bien.

Cela suffit, dit-il.


Les métamorphoses
des dieux
sont un démenti
à leur perfection.
d

Passons à la deuxième loi. Crois-tu que Dieu soit un magicien, capable de nous tendre des pièges et d’apparaître sous des formes diverses, tantôt réellement présent et changeant son image en une foule de figures différentes, tantôt n’offrant de lui-même que des fantômes trompeurs et sans réalité ? N’est-ce pas plutôt un être simple, le moins capable de sortir de la forme qui lui est propre ?

Je ne puis ainsi te répondre au pied levé, dit-il.

Examinons la chose de ce biais. Si un être sort de sa forme, ne faut-il pas ou qu’il se transforme lui-même ou qu’il soit etransformé par un autre ?

Il le faut.

Mais les choses les mieux constituées ne sont-elles pas les

    des dieux, Iliade, XX, 1-74. Il s’agit en réalité de la querelle des trois déesses Héra, Athéna et Aphrodite et du jugement de Pâris. Les vers d’Eschyle qui suivent se rapportent au fragment 160.

  1. La punition est un bienfait parce qu’elle guérit et améliore le coupable. L’ignorance ou le vice est dans l’âme ce que la maladie est dans le corps, et le juge est le médecin de l’âme. Aussi le pécheur doit aller devant le juge, comme le malade va voir son médecin, et quand nos amis sont en faute, notre devoir est de les poursuivre en justice.