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LA RÉPUBLIQUE

Thrasymaque
classe la justice
avec le vice,
et l’injustice
avec la vertu.

XX  Allons, Thrasymaque, dis-je, reprenons au début, et réponds-nous. Tu prétends que la parfaite injustice est plus avantageuse que la parfaite justice ?

c

Certainement j’ose le prétendre, dit-il, et j’en ai dit les raisons.

Eh bien, voyons, que penses-tu de ces deux choses ? Donnes-tu à l’une le nom de vertu, à l’autre le nom de vice ?

Sans doute.

C’est à la justice que tu donnes le nom de vertu, à l’injustice celui de vice ?

Il y a apparence, n’est-ce pas ? cher homme, quand je soutiens d’autre part que l’injustice est utile et que la justice ne l’est pas !

Alors quoi ?

C’est le contraire[1], répondit-il.

C’est la justice qui est un vice ?

dNon, mais une généreuse simplicité.

Alors l’injustice est malice pour toi ?

Non, dit-il, c’est discernement.

Tu crois aussi, Thrasymaque, que les hommes injustes sont prudents et sages ?

Oui, dit-il, ceux qui peuvent être injustes parfaitement et qui sont assez puissants pour mettre sous leur joug des États et des nations. Tu crois peut-être que je parle des coupeurs de bourse ; ce n’est pas que de telles pratiques soient sans profit, tant qu’elles ne sont pas découvertes ; mais elles ne valent pas la peine qu’on en parle, en comparaison de celles que j’indiquais à l’instant.

eJe conçois bien ta pensée, dis-je ; mais ce qui me confond, c’est que tu classes l’injustice avec la vertu et la sagesse, et la justice avec les qualités contraires.

C’est pourtant bien ainsi que je les classe.

Ainsi présentée, dis-je, cette thèse est bien dure et devient difficile à réfuter ; car si tu posais en principe que l’injustice

  1. Calliclès répond de même à Socrate dans le Gorgias 491 E : « Tu est plaisant ; ceux que tu appelles sages, ce sont les imbéciles » et ibid. 492 C : « La vérité, Socrate, que tu prétends chercher, la voici : la vie facile, l’intempérance, la licence, quand elles sont favorisées, font la vertu et le bonheur. »