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LA RÉPUBLIQUE

Je le crois, dit-il.

eSouviens-toi encore, continuai-je, que tu as reconnu qu’il est juste aussi de faire des choses nuisibles aux gouvernants et aux plus forts, quand les gouvernants donnent, sans le vouloir, des ordres contraires à leur intérêt ; car il est juste, selon toi, que les sujets exécutent les ordres des gouvernants. Dès lors, très sage Thrasymaque, n’en faut-il pas tirer cette conclusion, qu’il est juste de faire le contraire de ce que tu dis ? Car c’est bien, n’est-ce pas, ce qui est nuisible au plus fort qui est commandé aux plus faibles ?

340Par Zeus, Socrate, s’écria Polémarque[1], c’est clair comme le jour.

Oui, si tu lui apportes ton témoignage, intervint Clitophon.

Et en quoi Socrate a-t-il besoin de témoignage ? continua Polémarque. Thrasymaque lui-même convient que les gouvernants prescrivent parfois des choses qui leur sont préjudiciables et qu’il est juste que les sujets les exécutent.

En réalité, Polémarque, Thrasymaque a établi qu’il est juste de faire ce que les gouvernants commandent.

En réalité, Clitophon, il a établi aussi que la justice est ce qui est avantageux au plus fort, et après avoir posé ces deux principes, bil a reconnu d’autre part que les plus forts donnent parfois à leurs inférieurs et sujets des ordres qui sont préjudiciables à eux-mêmes. De ces aveux il résulte que la justice n’est pas plus ce qui est utile que ce qui est nuisible au plus fort.

Mais, reprit Clitophon, par l’intérêt du plus fort Thrasymaque a voulu dire ce que le plus fort juge être son intérêt : c’est là ce que le plus faible doit faire et c’est en cela que Thrasymaque a fait consister la justice.

Ce n’est pas ainsi qu’il s’est exprimé, dit Polémarque.

cIl n’importe, Polémarque, dis-je ; si c’est à présent ce que Thrasymaque veut dire, admettons-le ainsi.

  1. Rien de plus naturel, de plus vif que cette intervention de Polémarque pour Socrate, de Clitophon pour Thrasymaque. C’est un intermède dramatique, qui marque un moment important de la discussion et qui repose l’esprit de la sécheresse du raisonnement par la peinture variée des passions et des caractères. Ces jeunes gens prennent la défense de leurs maîtres respectifs avec une spontanéité et une vivacité amusantes.