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INTRODUCTION

Quelle nécessité nous contraint, en effet, de reconnaître Platon dans ces philosophes politiques célèbres qui ont loué délibérément la constitution égyptienne ? Quel besoin avons-nous de chercher dans un ouvrage de lui les traits de cette description égyptianisée de la société idéale que nous présente le Busiris ? Pohlenz (216) renvoie lui-même à Hérodote II 164/8, mais se hâte d’abandonner ce terrain, pour nous dire qu’Isocrate a stylisé consciemment et ces emprunts de Sparte et le schématisme des trois castes, et le reste. Soit : il n’en est pas moins indispensable d’observer que ce passage classique d’Hérodote sur les classes de la société égyptienne, sur l’interdiction faite aux guerriers de se livrer à aucun art mécanique, sur la transmission aux Grecs et surtout aux Lacédémoniens de ces traditions de la caste militaire, a chance d’avoir été, dès avant Hérodote, un lieu de débats écrits et oraux[1]. La façon dont il s’exprime (167) suppose nettement que la question des emprunts était discutée avant lui. Il est d’ailleurs possédé par cette mode égyptianisante, encore qu’il critique parfois les prétentions des Égyptiens : ils se disent inventeurs de l’astronomie (II, 4) aussi bien que de la théologie et du culte (50, 58), mais Hérodote, qui avoue l’emprunt grec pour les noms des dieux et reconnaît que les Égyptiens ont inventé la géométrie, sait bien que l’astronomie ne leur est pas due et qu’elle nous vient de Babylone (II, 109). Isocrate avait-il besoin de Platon pour faire, des sept classes d’Hérodote, trois classes et ramasser sous le nom de τέχναι les cinq sortes de métiers qu’Hérodote oppose aux μάχιμοι et aux ἱρέες ? Personne ne pouvait-il, avant Platon et Isocrate, en parlant de la constitution lacédémonienne, mettre en un seul groupe, en face des guerriers, toutes ces sortes d’occupations qu’on leur interdisait comme inférieures, là et dans bien d’autres pays grecs ? Personne aussi ne pouvait-il, avant Platon et Isocrate, chercher et trouver des arguments pour justifier, avec la spécialisation du travail, la séparation des classes ? Le mérite de Platon est-il d’avoir inventé de pareilles choses, ou de s’en être servi pour établir sa

  1. Hérodote utilise ici Hécatée de Milet ; il a eu des rapports directs avec les Sophistes ; cf. Jacoby, s. v. Hek. RE, VII 2, col. 2686 ; s. v. Herod. RE, Suppl. II col. 503, et Diels, Neue Jahrbücher, 1910, I, 14.