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INTRODUCTION

de sentiment, quant à la profondeur du génie, quant à la vie puissante, à la sublimité du style, tempérée par tant de fraîcheur et de simplicité, quelle analyse tenterait de les expliquer ? On comprend que, devant cette œuvre grandiose, l’admiration même excite et nourrisse des curiosités quelque peu exigeantes. C’est l’œuvre d’un penseur qui a cherché, progressé, varié. C’est l’œuvre d’un poète, d’un prophète, mais aussi d’un artiste, chez qui la flamme de l’inspiration laisse à la pensée constructive son calme et sa lucidité. Nous voudrions savoir d’abord, pour ce dialogue comme pour tous les autres, à quelle époque il l’a publié, mais, pour ce dialogue surtout parmi tous les autres, notre désir serait naturel de savoir combien de temps il le porta dans son âme, comme un rêve, à quelle époque il sentit s’en former les idées maîtresses, comment pour lui s’en dessina le plan et s’en construisit la bâtisse, si ce fut d’une façon continue et, pour ainsi dire, d’un jet soutenu et prolongé, ou si ce fut par essais successifs, par liaison et unification progressive de parties d’abord indépendantes, par correction, transformation et agrandissement, à l’âge mûr, d’une première œuvre que le grand œuvre absorba et ensevelit dans sa perfection achevée.

Les réponses, ou plutôt les hypothèses, que suscita d’abord une telle curiosité sont aujourd’hui dépassées, et nous avons de la peine à être équitables envers elles. Krohn s’était fié à l’apparente ingénuité de l’artiste, il avait pris au sérieux ses allures détachées et cru pour de bon que sa pensée se laissait voguer d’une idée à une autre, au gré de l’inspiration, ὅπου ἂν ὁ λόγος ὥσπερ πνεῦμα φέρῃ (Pl. Staat, p. 27). Aussi niait-il chez lui toute composition systématique et, trouvant partout des lacunes, des jointures hâtives, des contradictions manifestes, s’en allait répétant : « Où donc est l’unité si vantée ? » Il imagina donc une République bâtie de pièces et de morceaux, au cours des années. D’autres le suivirent, Pfleiderer, Dümmler, et l’on comprend mal qu’un écrivain comme Rohde prit la file. Mais le jeu était si passionnant de supposer et de deviner, à force d’inductions et de combinaisons, comment Platon avait travaillé ! Inductions et combinaisons eurent au moins cela d’utile que les bouleversements où elles conduisaient appelèrent la réaction et, du travail d’épreuve et de rectification qui suivit, l’unité de plan de la