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INTRODUCTION

toute la réalité dont ils sont susceptibles. Mais l’âme ne goûte vraiment, en chaque partie d’elle-même, les plaisirs les plus vrais et les plus purs que lorsqu’elle est harmonieusement équilibrée et suit d’un élan concordant l’appel de la sagesse. Plus elle s’éloigne de la raison et de la philosophie, plus ses plaisirs sont faux. Le plaisir du tyran est donc le plus éloigné du plaisir vrai. À quelle distance exacte est-il de ce plaisir véritable et royal ? Le tyran vient au troisième rang après l’homme oligarchique, celui-ci au troisième rang après l’homme royal, donc l’homme tyrannique vient, en somme, au neuvième. Or, le cube de 9 est 729, nombre qui mesure les minutes du jour, les heures du mois, les jours et les nuits de l’année, et Platon se plaît à nous montrer, par ce jeu de calcul, de combien le plaisir du tyran est inférieur à celui du philosophe, à toute minute et à toute heure du jour et de la nuit. Si telle est la distance entre le tyran et le philosophe à l’égard du plaisir, quelle ne sera-t-elle pas au point de vue de la décence, de la beauté, de la vertu ? (588 a).

Parvenus à cette conclusion, nous sommes en mesure de répondre d’abord à la thèse dont Glaucon s’est fait l’interprète au début du Livre II (360 e-362 c) : l’injustice est avantageuse à qui la pratique intégralement en se couvrant des dehors de la justice. Nous le ferons en imaginant l’âme humaine sous la forme d’une complexe et monstrueuse créature : une énorme bête à têtes multiples et changeantes, douces ou féroces à son gré ; un lion, de proportions plus petites ; un homme, plus petit encore. Dire qu’on doit préférer l’injustice, c’est dire qu’on doit nourrir en soi le monstre et le lion, et laisser dépérir l’homme intérieur, de façon qu’il soit à la merci des deux autres. Ne doit-on pas, au contraire, fortifier l’homme intérieur, faire du lion son auxiliaire pour dompter le monstre, et tenir ainsi les trois parties de l’âme en paisible et active harmonie ? Ce qui vaut mieux doit dominer ce qui vaut moins, et si les classes d’hommes en qui la raison a le moins de force doivent obéir à celui que gouverne plus directement la raison, Thrasymaque avait bien tort de prétendre (343 b et suiv.) que celui qui obéit ne le fait qu’à son dam. Cette divine autorité de la raison est, au contraire, un facteur d’union et d’assimilation entre les classes de la société comme entre les facultés de l’individu. C’est là l’esprit de la loi, qui prête son assistance à tous les