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INTRODUCTION

s’agitent si nombreux dans cette époque troublée, elles n’en veulent pas moins être et sont en fait une peinture générale, éternelle[1]. Le fond bestial que révèlent en tout homme les rêves de la nuit, et qui se déchaîne sans pudeur si l’on ne s’est endormi dans la méditation, avec un corps assagi par une vie mesurée, nous force d’ajouter, aux désirs nécessaires et aux désirs superflus, une troisième espèce : les désirs illégitimes ou anormaux (παράνομοι). Au fils de notre démocrate dilettante, l'éducation n’a pas donné les habitudes et les sentiments qui refouleraient ces désirs bestiaux. Autour du plus sauvage d’entre eux, l’amour, ils sont comme un cortège de bourdons furieux. Débauches, dissipations, appels d’argent toujours renouvelés, vols domestiques, violences aux parents, vols au dehors et crimes, voilà où cet amour-luxure conduit l’homme qu’il tyrannise. Autour de ce possédé s’agitent les natures condottières qui le servent et s’en servent : à l’occasion, mercenaires de quelque tyran étranger ; dans la cité, bande turbulente et malfaisante ; toujours esclaves et despotes, jamais libres ni sociables. Flatté, corrompu, poussé au pouvoir par eux et là seulement réalisant toute la méchanceté de sa nature, tel est l’homme tyrannique.

3. — Bonheur comparé du philosophe et du tyran.

Cet homme, suprême exemplaire du crime, n’est-il pas aussi le suprême exemplaire du malheur ? Le moment est venu, en effet, de décider entre lui et le juste par excellence, le gouvernant de notre cité parfaite, le philosophe-roi. Comparaison parallèle des types de cités et des types d’hommes (577 c-580 c), comparaison des espèces d'âmes et des plaisirs qui leur correspondent (580 d-583 a), comparaison des degrés de pureté et de vérité (583 b-588 a), voilà par quelle série ascendante d’arguments Platon obtient cette décision. Parallèle de la cité et de l’individu, parallèle des classes qui composent la cité et des âmes ou facultés qui

  1. Alcibiade, Critias, Lysandre, Agésilas, autant de types de cette nature condottiere et tyrannique (Scharr, p. 178). Mais Xénophon lui-même en est un exemple, bien que de moyenne taille. Cf. G. Cousin, Kyros le Jeune en Asie-Mineure (Paris, 1904), p. 207/10 ; P. Masqueray, Anabase I (Paris, 1980), Notice, p. 11-14, et 21-9.