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INTRODUCTION

jaugent, se les montrent et se disent : « Ils sont nuls : nous les aurons quand nous voudrons ». À la première occasion, ils se révoltent, massacrent et bannissent à leur tour, et, à ceux qu’ils épargnent, disent : « Part égale ! » Les magistratures se partagent au sort : la démocratie est née (557 a).

Cette démocratie, Platon nous la montre telle en son essence qu’elle est en fait devenue à son époque et, de ce qu’elle a produit, conclut à ce qu’elle contenait par elle-même[1]. Régime de liberté, de bon plaisir, le tout est synonyme à son sens : la démocratie est faite pour tout comprendre, tout permettre, tout désirer. Chacun y fait ce qu’il veut, s’y montre tel qu’il lui plaît d’être. Elle est souple et riche de tons. Ce n’est pas un régime, mais tous les régimes possibles à votre choix, comme en un bazar. On obéit quand on veut ; on est soldat, juge ou magistrat quand on veut ; et, condamné à mort ou banni, on se promène dans la cité sans que personne vous remarque. On accède au commandement sans tout ce long dressage dont nous avons dit la nécessité et tracé le plan. Aucune éducation n’est requise : aimer le peuple suffit. Plaisante, anarchique, ondoyante, la démocratie fait ce miracle de mettre au même niveau l’égal et l’inégal (558 c). Platon ne peut ignorer avec quelle perfection il parodie le fameux discours de Périclès. Mais, comme d’ordinaire, il cherche le ressort psychologique de la constitution qu’il décrit ; ici, c’est le désir ou plutôt le foyer même des désirs :

  1. Cf. Glotz, Cité Gr., I, p. 384/99 (corruption des institutions démocratiques au ive s.), p. 162/5 (jugement sur la démocratie athénienne à son apogée), p. 166 et suiv. (les idées sur la démocratie). Comparer, dans Thucydide, le discours de Périclès (II, 36/41) mais aussi le portrait de Cléon (IV, 21/2, 37 ; V, 7, 16) et le discours d’Alcibiade aux Lacédémoniens (VI, 89, la démence reconnue de la démocratie). Tempérer la sévérité de Platon ici par son jugement sur l’honnêteté foncière du peuple (VI, 499 d et suiv.) et le souvenir de sa confiance de jeune homme dans une démocratie modérée (Lettre VII, 325 b. - Le beau-père de Platon avait servi la politique de Périclès), par le Criton aussi : soumission à la légalité, respect de la patrie, qui se retrouvent dans Lettre VII, 321 c/d, Lois, 715 a/d, et dans le Politique, où Platon nous dira que la démocratie est, parmi les gouvernements normaux, le pire, mais, parmi les gouvernements corrompus (entendez les gouvernements de fait), le meilleur (303 a).