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INTRODUCTION

voir, sous la protection d’une garnison spartiate, le groupe oligarchique des Trente, où Critias fit vite triompher une politique de terreur. Trois mille citoyens seulement gardant leur titre et leurs droits, les autres désarmés et, sur eux autant que sur les métèques, les confiscations, les condamnations à mort ou à l’exil tombant en ouragan, voilà ce dont Platon fut le témoin pendant ces huit mois, et comme la Lettre VII nous l’atteste, le témoin indigné et déçu. Vinrent la révolte des bannis, la guerre civile, la mort de Critias et de son cousin Charmide (mai 403), la restauration de la démocratie : la modération de celle-ci semblait donner à Platon quelque espoir, lorsque la condamnation de Socrate fixa ses sentiments à l’égard du régime[1].

L’histoire vécue si directement n’a pu rester sans influence sur les idées que Platon s’est faites et sur les tableaux qu’il nous dessine des constitutions politiques. Ce n’est pas Sparte, c’est Athènes avec les Quatre-Cents et les Trente, qui impose par la force et fixe par une loi un revenu minimum et une limite rigoureuse au nombre des citoyens. Ce n’est pas à Sparte que s’achève en fait l’évolution naturelle de l’oligarchie en démocratie, c’est dans l’Athènes de Solon à Clisthènes, mais aussi dans cette Athènes de 411 et de 403 qui semble offrir, en quelques années ou quelques mois comme en un raccourci d’histoire, les traits les plus violents de l’oligarchie et ses conséquences les plus graves. Nous ne pouvons donc nous imaginer Platon empruntant à une seule cité les couleurs dont il fait son tableau, ni s’attachant à suivre servilement la succession exacte des faits et des constitutions, si diverse selon les cités. Il cueille ici et là le trait significatif, y saisit la courbe et la loi de développement, et, philosophe, cherche partout l’essence et l’éternel. Cependant, quel relief, quelle vie, quelle actualité dans cette généralisation ! La rapacité hypocrite des grands oligarques facilite aux jeunes gens le libertinage et la ruine, faute d’une loi qui interdirait ou la vente du bien de famille ou le prêt usuraire, et ces jeunes nobles rejetés de leur caste n’aspirent plus qu’à la détruire. D’ailleurs, à voir de près, sur les navires ou à l’armée, leurs maîtres amollis par la richesse, les pauvres les

  1. Cf. Thucydide, VIII, 65 ad fin. ; Xén., Hellén., I et II (sur les Trente et Critias, II, 3 et 4) ; Platon, Lettre VII, 324 c/5 d.