Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome V, 2.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
CRATYLE

poésie grecque. On la note déjà chez Homère ; on la retrouve chez Hésiode et chez les tragiques[1].

Il est difficile, croyons-nous, de ne pas être frappé du rapprochement qui semble s’imposer entre le procédé mis en œuvre par Socrate dans cette partie du Cratyle et la méthode de Protagoras. Si l’on admet, d’autre part, que Protagoras tirait de la doctrine d’Héraclite les mêmes conclusions que Cratyle sur la justesse naturelle des noms, on inclinera à penser que l’école de ce sophiste a particulièrement été visée par Platon[2]. Mais, pas plus que pour Prodicos, on n’a la preuve que Protagoras lui-même ait pratiqué l’étymologie ; et il est vraisemblable que la partie étymologique tourne en ridicule les abus où tombaient, sinon les grands sophistes du passé, du moins certains de leurs disciples, en prétendant justifier par ces procédés fantaisistes la théorie d’Héraclite.

L’opinion de Schleiermacher que le Cratyle livre bataille à Antisthène a souvent été reprise et discutée. Dümmler, qui s’en est fait le principal champion, a tenté de l’étayer par des vues nouvelles. Leur goût pour les étymologies et leur doctrine étymologique, les stoïciens les auraient reçus d’Antisthène, qui les tenait d’Héraclite, et c’est Antisthène que Platon tournerait ici en dérision. Steiner[3] pense qu’Antisthène est directement visé au moins dans les étymologies des noms relatifs aux notions morales, et — ce qui nous paraît extrêmement douteux — dans les considérations sur la valeur des sons isolés. Suivant Raeder[4], Antisthène est attaqué dans le Cratyle comme dans l’Euthydème, et toutes les discussions intéressant la langue sont vraisemblablement dirigées contre lui. Il disait : « Le principe de l’éducation est l’étude des noms », et il avait écrit un ouvrage en cinq livres Sur l’éducation ou les noms[5]. Comme Cratyle, il soutenait qu’il est impossible de parler faux. Socrate ne fait-il pas clairement allusion à lui quand, au moment d’examiner les notions morales, il déclare qu’ayant « revêtu la peau du lion »,

  1. M. Warburg, o. l., p. 70 et suiv.
  2. Stallbaum, o. l., p. 4.
  3. O. l., p. 127 sq.
  4. O. l., p. 148.
  5. Diogène de Laërte, VI, 17.