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CRATYLE

casmes contre la théorie du mobilisme universel. Les conclusions du dialogue prouvent que l’ouvrage est surtout dirigé contre la thèse défendue par Cratyle.

Cette thèse était-elle déjà celle d’Héraclite ? Croyait-il à la justesse naturelle des noms ? On pourrait le supposer, d’après certains fragments où il semble invoquer la forme et la valeur de certains noms à l’appui de sa doctrine. Il est douteux, toutefois, qu’il ait expressément formulé cette théorie ; ce sont plutôt ses disciples qui ont dû développer des vues dont ils trouvaient le germe chez leur maître. Or comment faire voir que les noms expriment l’idée du mouvement universel ? Pour le prouver, l’école d’Héraclite était naturellement amenée à l’exégèse étymologique. Cette exégèse, on la voit poindre déjà chez Héraclite (fragments 25, 32, 48, 114), bien que dans la plupart des cas il s’agisse plutôt de jeux de mots que d’étymologies proprement dites[1]. Le premier, disait-on, il avait considéré le mot comme une onomatopée[2]. Il est probable que le procédé étymologique fut systématiquement employé et élargi après lui.

Le développement consacré à la partie « étymologique » frappe par son ampleur autant que par l’impitoyable critique dont Platon l’a fait suivre. L’insistance de l’auteur atteste l’importance prise par cette méthode d’explication, et la nécessité où il croyait être de la ruiner définitivement. Est-ce Cratyle en personne qu’il attaque sur ce point[3] ? Le titre du dialogue semblerait l’indiquer. Mais rien ne permet d’affirmer que Cratyle, si mal connu d’ailleurs, se soit adonné à l’étymologie. Son attitude ici donne même l’impression contraire. D’étymologie, il n’en propose ni n’en discute aucune ; il se borne à accepter docilement en bloc celles de Socrate, et, s’il se hâte de les approuver, c’est parce qu’il trouve dans certaines d’entre elles une confirmation du mobilisme d’Héraclite. Et parmi les autres, il y en a beaucoup qui sont sans rapport avec cette doctrine et n’intéressent même pas la philosophie[4].

  1. J. van Ijzeren, o. l., p. 188 et suiv.
  2. Gomperz, o. l., I, p. 417 ; cf. Kirchner, o. l., Progr. 1891/2, p. 16.
  3. C’est l’avis d’Ijzeren, o. l., p. 199 et suiv.
  4. Il est inutile de nous arrêter à la thèse étrange soutenue par