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NOTICE

défend la doctrine d’Héraclite. Est-il vrai que Platon l’ait ménagé et traité avec égard[1] ? Mais le rôle qu’il lui prête n’a rien de flatteur. Ce qu’il montre en lui, c’est un attachement têtu à ses idées[2], qui va jusqu’à lui faire reprendre un assentiment déjà donné, une certaine mauvaise grâce à reconnaître les raisons de l’adversaire, des illogismes manifestes, des arguties assez misérables quand il se voit battu — bref un ensemble de caractères qui font de Cratyle un esprit à courte vue et une sorte de sophiste. Comme le premier entretien paraît confirmer la thèse qu’il défend lui-même, celle de la justesse naturelle des noms, il approuve en gros les explications de Socrate, sans discerner les diverses parties de l’exposé — pourtant si différentes de ton et de valeur — ni distinguer le sérieux du plaisant. Soutenant que tous les noms sont justes, il s’abrite derrière le sophisme d’Euthydème : il est impossible de dire faux, car on ne peut exprimer ce qui n’est pas, — sans voir que ces deux propositions sont inconciliables avec sa thèse[3]. Quand il objecte plus loin que l’omission, l’addition, ou le déplacement d’une lettre suffisent à faire d’un nom un autre nom, il oublie que les étymologies de Socrate, approuvées par lui sans réserve, reposaient précisément sur des modifications de ce genre. Délogé de toutes ses positions, il finit par se rabattre sur l’hypothèse que les noms primitifs ont peut-être été établis par une puissance supérieure à l’homme, sans s’aviser qu’elle est ruinée d’avance par les constatations précédentes.

D’autre part, son attitude n’est pas exempte de morgue. Invité par Hermogène à faire part de leur entretien à Socrate, il répond par un laconique : « Si tu veux », et garde un silence complet dans la plus grande partie du dialogue. Hermogène se plaint de l’obscurité dédaigneuse et ironique dont il enveloppe ses réponses, comme un oracle[4].

  1. C’est l’avis de C. Ritter, Platon, sein Leben, seine Schriften, seine Lehre, München, 1910, I, p. 476, et de Wilamowitz, o. l., p. 91 et 287.
  2. Wilamowitz reconnaît lui-même cet entêtement.
  3. Horn, o. l., p. 58. S’il est impossible de dire ce qui n’est pas, on sera dans le vrai en donnant, par exemple, le nom d’Hermogène à Cratyle.
  4. 384 a ; cf. 427 d.