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CRATYLE

Socrate. — Et pour les autres noms ?

Hermogène. — Tu n’en avais pas du tout l’air.

Socrate. — Écoute donc : peut-être réussirai-je à t’abuser sur le reste, en te faisant croire que je ne parle point par ouï-dire. Après la justice, que nous reste-t-il ? Le courage, si je ne me trompe ; nous ne l’avons pas encore passé en revue. Il est clair que l’injustice (adikia) est essentiellement l’obstacle à ce qui e parcourt (tou diaïontos[1]) ; d’autre part le mot courage indique que c’est dans la lutte que le courage reçoit son nom. Or dans le réel, si vraiment il s’écoule, la lutte n’est autre chose que le courant (rhoê) contraire. Si donc on ôte le d à andréïa (courage), par lui-même le nom d’anréïa indique cette activité[2]. Il est clair que le courage n’est pas le courant contraire à n’importe quel courant, mais à celui qui va contre le juste ; 414 autrement on ne louerait pas le courage[3]. Les noms de virilité (arrhén) et d’homme (anêr) sont voisins de celui-ci : le courant dirigé en haut (anô rhoê). Gunê (femme) me paraît vouloir être gonê (génération). Quant au féminin (thêlu), c’est de la mamelle (thêlê) qu’il paraît avoir tiré son nom. Mais la mamelle, Hermogène, ne signifie-t-elle pas qu’elle est cause d’épanouissement (téthêlénaï), comme pour les plantes qu’on arrose ?

Hermogène. — Apparemment, Socrate.

Socrate. — Eh bien, le mot même s’épanouir (thalléïn) me semble figurer la croissance de la jeunesse, dans sa promptitude et sa soudaineté. C’est ce que l’auteur a, pour ainsi dire, reproduit b à l’aide du nom, en le formant de théïn (courir) et hallesthaï (bondir). Mais tu ne t’aperçois pas que je me laisse comme emporter hors de la carrière, quand j’ai trouvé un sol uni[4]. Pourtant il nous reste encore à traiter nombre de questions, de celles qui passent pour sérieuses.

Hermogène. — Tu dis vrai.

Socrate. — L’une d’elles consiste à voir ce que peut signifier notamment tekhnê (art).

  1. C’est-à-dire au principe qui a été identifié plus haut avec le juste.
  2. Ἀνρεία est expliqué par Socrate comme formé de ἀν(ά) : en sens contraire (ou peut-être ἄνω vers le haut ; cf. plus bas), et de ῥεῖν (couler).
  3. Littéralement : car on ne louerait pas le courage (sous-ent. s’il n’était pas le courant contraire à celui qui va contre le juste).
  4. C’est-à-dire des problèmes faciles à résoudre.