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EUTHYDÈME

artisans dans la qualité d’ouvrage qui leur convient : vous, c’est la discussion, et vous vous en acquittez à merveille. »

« Tu sais donc, dit-il, ce qui convient à chaque catégorie d’artisans ? Et d’abord, à qui convient-il de forger[1] ? le sais-tu ? — Oui, au forgeron. — Et de façonner l’argile ? — Au potier. — Et d’égorger, d’écorcher, de mettre la viande en menus morceaux pour la faire bouillir et rôtir ?d — Au cuisinier, dis-je. — Si l’on fait ce qui convient, dit-il, on fera bien ? — Certainement. — Or, ce qui convient au cuisinier, dis-tu, c’est la mise en morceaux et l’écorchement ? l’as-tu admis, oui ou non ? — Je l’ai admis, dis-je, mais pardonne-moi. — Il est donc clair, dit-il, qu’en égorgeant le cuisinier et en le mettant en morceaux pour le faire bouillir et rôtir, on fera ce qui convient ; et que, si l’on forge le forgeron en personne, si l’on façonne le potier, là encore on agira convenablement. »

« e Ô Poséidon ! dis-je, voici que tu mets le couronnement à ta science. Me sera-t-elle donnée un jour pour m’appartenir en propre ? »

« La reconnaîtrais-tu, Socrate, dit-il, si elle t’était devenue propre ? »

« À condition que tu le veuilles[2], répondis-je, évidemment. »

« Et ce qui est à toi, dit-il, tu crois le connaître ? »

« Sauf avis contraire de ta part ; car c’est par toi qu’il faut commencer, pour finir par Euthydème ici présent[3]. »

« Considères-tu comme à toi, dit-il, ce qui est sous tes ordres et dont tu peux disposer à ta guise ? Par exemple, un bœuf 302 et un mouton, les regarderais-tu comme à toi, si tu pouvais les vendre, les donner, les sacrifier à tel dieu qu’il te plairait ? Et ce qui n’est pas dans ce cas, tu ne le crois pas à toi ? »

  1. En grec, le tour est amphibologique, puisque τίνα peut être soit un singulier masculin, sujet de χαλκεύειν, soit un accusatif pluriel neutre, complément de l’infinitif. Cf. Notice, p. 124.
  2. Allusion ironique à 296 d (« si je veux »). Cf. 301 b (« si c’est mon avis »).
  3. Socrate qui, à plusieurs reprises, a affecté de traiter les deux sophistes comme des divinités, se sert de la formule employée par les poètes quand ils s’apprêtent à célébrer un dieu. Cf. Théocrite, XVII, 1 : « Commençons par Zeus, et finissez par Zeus, Muses… ».