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EUTHYDÈME

« Tu me parais, dis-je, montrer par une preuve suffisante que l’art des faiseurs de discours n’est pas celui qu’il faudrait acquérir pour être heureux. Et pourtant j’espérais découvrir de ce côté la science que e nous cherchons depuis longtemps. Car pour moi les auteurs eux-mêmes, les faiseurs de discours, quand je suis avec eux, me paraissent, Clinias, supérieurement savants, et, pris en soi, leur art me semble divin et sublime. En cela d’ailleurs, rien de surprenant : il est en effet une partie de l’art des incantations, à peine inférieur à lui[1]. 290 Celui des incantations consiste à charmer serpents[2], tarentules, scorpions, les autres bêtes et les maladies ; l’autre s’adresse aux juges, aux membres de l’Assemblée, et aux autres foules pour les charmer et les apaiser. Et toi, dis-je, es-tu d’un autre avis ? »

« Non, dit-il, je partage ta manière de voir. »

« Où donc, repris-je, nous tourner encore ? vers quelle sorte d’art ? »

« Pour ma part, dit-il, je n’en vois guère. »

« Eh bien, dis-je, moi, je crois avoir trouvé. »

« Lequel ? » demanda Clinias.

« L’art du général, b dis-je, me semble être par-dessus tout celui dont l’acquisition peut assurer le bonheur. »

« Ce n’est pas mon avis. »

« Comment cela ? » dis-je.

« C’est là un art de faire la chasse aux hommes. »

« Et après ? » demandai-je.

« Aucune forme de la chasse proprement dite ne va plus loin, dit-il, qu’à poursuivre et à capturer[3] ; quand les gens ont mis la main sur l’objet de leur poursuite, ils sont incapables d’en tirer parti : les uns, chasseurs et pêcheurs, le remettent aux cuisiniers ; les autres, géomètres, astronomes, calculateurs, se livrent c eux aussi à une chasse, car on ne produit point les

  1. L’expression est illogique, Platon considérant tour à tour l’art des discours comme une partie de l’art des incantations, puis comme distinct de ce dernier, et à peine inférieur à lui. En fait ἐκείνης, comme le montre la suite, désigne l’art de charmer les bêtes malfaisantes et les maladies, c’est-à-dire une autre partie de l’art des incantations.
  2. Il y avait en Grèce, au temps de Platon, des charmeurs de serpents. Cf. Rép., 358 b.
  3. Socrate a montré plus haut que la science à trouver est celle qui réunirait à la fois le don de produire et celui d’utiliser ce qu’elle aurait produit. Or la chasse (et par suite l’art du général, etc.) ne