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EUTHYDÈME

m’encouragea encore plus à répondre que nous étions prodigieusement sérieux.

Alors Dionysodore : « Réfléchis bien, Socrate, dit-il, pour ne pas démentir ce que tu dis en ce moment. — C’est tout réfléchi, répondis-je ; ne craignez pas que je me démente jamais. — Eh bien, reprit-il, vous désirez, dites-vous, le voir sage ? — Parfaitement. — Et en ce moment, dit-il, Clinias est-il sage ou non ? — Pas encore, à l’en croire ; mais il n’est pas vantard[1]. — Mais vous, dit-il, vous voulez le voir d sage, et non ignorant ? » Nous l’avouâmes. « Ainsi donc, ce qu’il n’est pas, vous voulez qu’il le devienne, et ce qu’il est maintenant, qu’il ne le soit plus. » À ces mots, je me sentis troublé, et je l’étais encore quand il reprit : « Puisque vous voulez, dit-il, qu’il ne soit plus ce qu’il est maintenant, vous voulez apparemment sa mort[2] ? Ils seraient vraiment précieux, les amis et amants de cette sorte, qui mettraient au-dessus de tout l’anéantissement de leur bien-aimé ! »


Protestation de Ctésippe.
Discussion avec les sophistes.

Ctésippe, à ces mots, s’indigna e pour son bien-aimé : « Étranger de Thurium, s’écria-t-il, s’il n’était trop grossier de le dire, je dirais : « Malheur sur ta tête ! » pour oser proférer contre moi et les autres un mensonge dont le seul énoncé est à mes yeux un sacrilège, en disant que je voudrais son anéantissement ! »

« Eh quoi ! Ctésippe, répondit Euthydème, te semble-t-il possible de mentir ? — Oui, par Zeus ! dit-il, si je ne perds la raison. — En disant la chose dont il s’agit, ou sans la dire ? — En la disant. 284 — Si on la dit, on ne dit, des choses qui sont, que celle-là même dont on parle ? — Évidemment, répondit Ctésippe. — Mais cette chose qu’on dit fait aussi

  1. Socrate ne se prononce pas personnellement sur la question, et n’allègue que le sentiment de Clinias. Mais il laisse entendre que le jeune homme pourrait bien être déjà σοφός. Pourtant l’invitation qu’il a adressée aux sophistes (275 a) et qu’il a répétée à la fin de l’entretien (282 d) suppose que Clinias a encore besoin d’être exhorté à rechercher le savoir.
  2. Le sophisme consiste à prendre d’abord ὅς au sens de οἷος, puis à lui rendre sa valeur habituelle. Confusion de la qualité avec l’objet lui-même et l’existence de l’objet (voir la Notice, p. 125).