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MÉNEXÈNE

dehors, étaient des autochtones[1], habitant et vivant vraiment dans leur patrie, nourris, non comme les autres, par une marâtre, mais par la terre maternelle qu’ils habitaient, et c qui ont permis à leurs fils de reposer morts, aujourd’hui, dans les lieux familiers de celle qui les mit au monde, les nourrit et leur offrit son sein. Rien n’est donc plus juste que de rendre un premier hommage à leur mère elle-même : il se trouve en même temps que c’est aussi un hommage rendu à leur bonne naissance.

Notre pays mérite les louanges de tous les hommes et non pas seulement les nôtres, pour bien des raisons diverses, dont la première et la plus grande est qu’il a la chance d’être aimé des dieux. Notre affirmation est attestée par la querelle et le jugement des divinités d qui se disputèrent pour lui[2]. Ce pays qui a obtenu l’éloge des dieux, comment n’aurait-il pas justement celui de l’humanité tout entière ? Un second éloge lui serait encore dû : au temps lointain où toute la terre produisait et faisait croître des êtres de toute sorte, bêtes et plantes, la nôtre s’est montrée vierge et pure de bêtes sauvages ; et parmi les êtres vivants elle a choisi pour elle et mis au monde l’homme, qui par l’intelligence s’élève au-dessus des autres, et reconnaît seul une justice et des dieux. Une preuve bien forte e vient appuyer la thèse que cette terre a enfanté les ancêtres de ces morts, qui furent aussi les nôtres. Tout être qui enfante porte en soi la nourriture appropriée à son enfant, et c’est par où la véritable mère se distingue clairement de celle qui ne l’est pas : celle-ci en prend frauduleusement le nom, si elle n’a pas en elle la source qui doit nourrir l’enfant. Or, celle qui est à la fois

  1. La prétention à l’autochtonie, lieu commun de l’éloquence attique, s’accorde pourtant mal avec les traditions athéniennes elles-mêmes. Les grandes familles d’Athènes se reconnaissaient une origine étrangère : les Alcméonides descendaient de Pyliens qui étaient venus de Messénie en Attique. Les Athéniens se glorifiaient d’avoir de tout temps donné asile aux opprimés et aux proscrits (Xénophon, Helléniques, VI, 5, 45). Les premiers habitants du pays étaient les « Pélasges », qui parlaient une langue non hellénique. Plus tard, le pays fut envahi par une population achéenne qui imposa sa langue aux indigènes.
  2. Voir la Notice, p. 67. Les dieux avaient donné gain de cause à Athéna, sur le témoignage de Cécrops.