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MÉNEXÈNE


Prestige de l’oraison funèbre.

Socrate. — c Ma foi ! Ménexène, il paraît y avoir bien des avantages à mourir à la guerre. On obtient une belle et magnifique sépulture, même si l’on a fini ses jours dans la pauvreté ; et des éloges, même si l’on est sans valeur, vous sont donnés en outre par de doctes personnages, qui louent non pas à l’aventure, mais dans des discours préparés de longue main. Leurs louanges sont si belles qu’à citer sur chacun les qualités qui lui appartiennent et celles qui lui sont étrangères, 235 avec la parure d’un magnifique langage, ils ensorcellent nos âmes. Ils célèbrent la cité de toutes les manières ; les morts de la guerre, tous les ancêtres qui nous ont précédés, et nous-même encore vivants, nous sommes glorifiés par eux[1] de telle sorte que, pour ma part, Ménexène, je me sens, devant leurs éloges, les dispositions les plus nobles ; chaque fois, je reste là sous le charme[2] à les écouter, me figurant instantanément être devenu b plus grand, plus noble et plus beau. Et, suivant mon habitude, je suis toujours accompagné d’étrangers, qui écoutent le discours avec moi ; à leurs yeux j’acquiers sur-le-champ plus de dignité. Car ils me paraissent éprouver ces mêmes impressions envers moi comme envers le reste de la cité ; ils la jugent plus admirable qu’auparavant, à la parole persuasive de l’orateur. Et moi, je conserve cette dignité plus de trois jours[3] : les paroles et le ton[4] de l’orateur c pénètrent dans mon oreille avec une telle résonance[5] que c’est à peine si le quatrième ou le cinquième jour je reviens à moi et prends conscience de l’endroit où je suis ; jusque-là, peu s’en

    se distinguent des magistrats ordinaires (ἄρχοντες) en ce qu’ils n’agissent que d’après les instructions données par le peuple (ambassadeurs, pylagores, commissaires des travaux de fortification). Mais ici, comme souvent chez Platon, le mot est pris dans un sens général.

  1. Sur tout ce persiflage, qui ne peut laisser de doute sur le sens du discours qui va suivre, voir la Notice, p. 53 sq.
  2. Κηλούμενος, au sens propre : charmé comme par un chant merveilleux. Cf. Protag., 315 ab : Protagoras traîne à sa suite des étrangers hors de toutes les villes qu’il traverse, « les charmant par sa voix comme un autre Orphée ».
  3. πλείω, leçon des mss., est exceptionnel en pareil cas pour πλέον.
  4. Ὁ λόγος : les mots ; ὁ φθόγγος : le son de la voix.
  5. Ἔναυλος se dit d’un langage qui frappe les oreilles comme les sons de la flûte, et aussi d’une chose dont le souvenir est encore récent. Cf. Eschine, C. Ctésiphon, 62 ; Platon, Criton, 54 d ; Lois, 678 b.