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NOTICE

solennité les risques[1] d’une partie où il s’agit de jouer un jeu serré (95 b). Puis il s’astreint à reprendre une fois de plus (cf. 91 d) le contenu de cette objection redoutable : folle confiance du philosophe fondée sur une croyance sans preuve ; énergie quasi divine de l’âme, qui lui permet de préexister on ne sait combien de temps à la vie corporelle, de façon à acquérir les connaissances dont elle se ressouvient ensuite, et qui par conséquent lui confère une durée supérieure à celle du corps ; refus de considérer cette plus longue durée comme équivalente à l’immortalité[2], puisque l’incarnation est au contraire pour elle le commencement de la maladie dont enfin elle mourra ; raisons égales, même si cette incarnation peut se renouveler plusieurs fois, de craindre pour notre âme à l’approche de la mort physique (95 b-e). Enfin la réponse de Socrate est précédée, comme à 84 c, d’une longue méditation silencieuse (95 e).

A. Le problème posé par la conception de Cébès est en effet un très grave problème, celui des causes de la génération et de la corruption : bref le problème général de la Physique, qui avait été jusqu’au milieu du ve siècle le centre de la spéculation philosophique. L’examen direct du problème par rapport à la destinée de l’âme est, comme de coutume, précédé d’une introduction que son exceptionnel développement ne doit cependant pas faire tenir pour une pièce indépendante : en contant l’histoire de sa pensée par rapport à ce problème, Socrate prépare la solution des difficultés devant lesquelles la recherche a jusqu’alors échoué.

  1. Cébès s’attend à être, à son tour, battu par l’argumentation de Socrate. Qu’il ne clame pas trop haut pourtant sa certitude ! Il risquerait ainsi de susciter contre cette argumentation la mystérieuse jalousie qui menace tout orgueil trop confiant et d’attirer sur elle le mauvais sort.
  2. Autrement dit, la qualité intensive qui constitue cette énergie peut décroître indéfiniment par une sorte d’alanguissement. C’est l’argument que, dans la Critique de la raison pure (II Th., II Abth., II Buch, I Hauptst. ; trad. Barni II, 15 sqq.), Kant a repris avec force contre Mendelssohn ; celui-ci dans son Phédon en avait en effet tenté une réfutation. Kant ne fait d’ailleurs aucune allusion à l’origine platonicienne de son argument. Je dois à l’amitié de M. Martial Gueroult d’avoir eu communication d’une pénétrante étude qu’il a consacrée à cette question et que publiera la Revue de Métaphysique et de Morale en 1926.